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doivent l’accomplir. Ceux qui flanchent, ceux qui tombent, les soldats les relèvent à coups de pied, à coups de crosse ou de baïonnette : « Ils nous faisaient travailler jusqu’à épuisement total. Chaque jour, j’en ai vu s’abattre au milieu de leur travail et mourir sur place, dit Pierre W... N’ont pu résister que ceux dont le temps de condamnation était court et qui, à une grande résistance morale, joignaient une constitution très robuste. »

Les soldats étaient d’une férocité qu’excitaient encore leurs chefs : « Un lieutenant leur disait en nous montrant :

— Fortes têtes, ceux-là. Ce sont eux qui ont coupé les oreilles de vos camarades. Vengez-vous. Faites-leur tout ce que vous pourrez, vous ne leur en ferez jamais assez ; ce sont des barbares ! Toutes les tortures, les soldats pouvaient se les permettre. Impossible de se plaindre contre eux ; quoi qu’ils aient fait, ils avaient toujours eu raison. »

Parfois, durant le travail, un condamné essayait de se dissimuler et de s’évader. C’était le seul moment propice ; mais les sentinelles faisaient bonne garde. Leur attention était aiguisée : « ils touchaient une prime de cinquante marks pour chaque fugitif qu’ils rattrapaient ou abattaient. » Le travail était imposé : « A la tâche. » « Au début, chacun de nous devait faire deux rames de wagons ; dans la suite, ce fut trois rames. » En théorie, le travail finissait à cinq heures. En réalité, il se prolongeait bien avant dans la nuit. Rentrés à la citadelle, les prisonniers devaient encore faire queue pour obtenir avec une écuelle de soupe aux rutabagas, les deux cent cinquante grammes de pain du ravitaillement américain qui constituaient leur seule nourriture.

Ravagés par la dysenterie, par l’anémie et les bronchites attrapées en faisant queue, « on mourait, on mourait comme des mouches !... » Un jeune Roubaisien, Jean R..., condamné aux bataillons de discipline de Sedan, mais que l’armistice a délivré à temps, a vu, dans la prison d’Avesnes qui servait de dépôt, revenir quelques-uns des malheureux qui avaient survécu : « Ils étaient d’une maigreur effroyable et tellement torturés par la faim, qu’ils attrapaient les gros rats dont la prison était infestée et les dévoraient tout crus... Ce qu’ils nous racontaient de leurs souffrances, nous faisait dresser les cheveux sur la tête et, pourtant ils disaient : « Heureux, encore, que nous n’ayons pas été aux bataillons de Longwy. Tous ceux qu’on y