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lignes, dans des usines en partie détruites. A Fromelles, par exemple, nous étions à cinq cents mètres de gros dépôts de munitions qui, toutes les nuits, attiraient les avions anglais. Nous ne pouvions plus dormir. »

S’imagine-t-on ce qu’a dû être l’existence de ces enfants en proie, constamment, à la plus grande des terreurs humaines, celle de la mort ! « Quand les bombes cessaient de taper, avoue l’un, je pensais à la maison, à la vie d’autrefois... » Vision de paix ! Temps lointain et pourtant si proche où il suffisait d’être un enfant sage pour être heureux ! « Je pensais à maman ; je me disais : je vais être tué, c’est sûr ; plus jamais je ne la reverrai, et je pleurais tout bas de peur que les autres ne m’entendent et ne se moquent de moi... »

Pour fuir cette géhenne, quelques-uns tentaient de s’évader, de rentrer chez eux avec l’espoir de s’y pouvoir cacher. Ils étaient vite repris ou dénoncés. A titre d’exemple et pour ôter aux fugitifs l’envie de recommencer, les Boches les punissaient cruellement : « Comme nous étions dans la région de Carvin, un de mes camarades veut se sauver à Lille. Les Boches le rattrapent, le mettent au cachot dans une cave où, sur le sol, il y avait une couche de boue et d’ordures plus haut que la cheville... »

Et, d’abord, en arrivant du grand jour, le condamné est comme aveugle. Tout d’un coup, venant d’un des angles, il entend des grognements, des gémissements. Il se tourne. Ses yeux se sont faits à la pénombre.

Un Russe est là qui, vautré dans la boue, ronge un bâton. Il agonise, épuisé par la faim, il râle et meurt. L’épouvante s’empare de son compagnon, qui se précipite sur la porte et, comme fou, frappe dans le vantail à coups pressés, en criant :

— Il y a un mort, il y a un mort !

Personne ne lui répond. Pendant trois jours, il demeure blotti contre un des murs, en compagnie du cadavre qui se décompose et emplit l’air de sa pestilence.


« Nous étions des « travailleurs volontaires ! [1]. » Notre salaire était de trois francs ou d’un franc soixante, selon que

  1. Les Allemands avaient tellement répété que tous les travailleurs étaient des « volontaires, » qu’on a raconté que les Anglais, en ayant fait quelques-uns prisonniers, les ont pendus pour avoir travaillé contre leur patrie.