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risque d’abandonner quelques instants le terrain solide des statistiques et des faits. Nous commencerons donc par un inventaire méthodique des forces disponibles, afin d’en oublier le moins possible quand nous étudierons ensuite une à une celles, assez rares, qui peuvent nous être d’un secours immédiat.

Le progrès matériel, dont nous prétendons ainsi deviner les prochaines étapes afin de les accélérer à notre profit, consiste en somme à absorber, à s’assimiler successivement toutes les ressources, toutes les énergies que la nature nous offre, en nous et autour de nous, à en tirer parti pour économiser notre fatigue et accroître notre bien-être. En fait de forces, il s’agit de dompter les violences nuisibles et de faire apparaître les énergies latentes. Vigueur et adresse humaines aidées par des instruments et des outils, animaux domestiqués, plantes cultivées, minéraux extraits et élaborés, météores asservis, tous les moyens nous sont devenus bons, qui rendent la vie plus facile. Toutefois, l’homme s’est borné longtemps à chercher un secours et un aliment dans les manifestations diverses de la vie, qui ressemblaient mieux que le reste de l’univers à ce qu’il était lui-même. Aujourd’hui encore, il ne sait pas se nourrir directement de la matière minérale et laisse la plante, puis l’animal, réaliser, en une ou deux étapes antérieures, la première assimilation nécessaire pour faire contribuer l’azote ou le carbone à la satisfaction de son appétit. Les tablettes d’azote de Berthelot restent un rêve. Pendant des milliers d’années, de même, il a borné son ambition à faire travailler pour lui des bêtes de somme ou des esclaves et, jusqu’à une époque bien voisine de nous, c’est très timidement qu’il a capté l’impulsion des eaux et des vents. Parfois il brûlait alors un peu de charbon minéral, mais sans se douter que, sous cette enveloppe noire, se cachait un génie capable de traîner des chars et des bateaux ; ou bien il regardait ses murs se salpêtrer sans soupçonner qu’une puissance démoniaque, cachée dans ces paillettes blanches, transporterait un jour, à travers les airs, avec une effroyable violence, des boulets de pierre ou de métal. Mais, depuis bientôt deux siècles, une ère nouvelle a commencé ; le pauvre artisan humain a commencé à se rendre compte, avec une perspicacité croissante, qu’il existe, sur la terre ou dans la terre, d’autres vigueurs plus robustes que