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soit n’aura pour vous une plus sure et plus tendre affection. — Du 16 avril : « Adieu, vous savez si je vous aime. Je n’ai pas besoin de vous le redire, n’est-ce pas ? » — Du 3 août : « Deux esprits peuvent se toucher, mais il n’y a que le cœur qui se pénètre. Le mien est à vous pour jamais. » — Du 29 novembre 1822 : « Aimez-le votre fils, pour Dieu, pour lui, pour vous : voilà l’ordre. Aimez-moi aussi un peu, car je n’ose dire : comme je vous aime. » — Du 9 janvier 1824 : « Salies ou non, je réclame les feuilles du manuscrit (le manuscrit d’un petit roman de Mme Cottu). Elles sont à moi, vous me les avez données. Donnez-moi aussi quelques souvenirs ; les souvenirs, c’est mon bien. Pourquoi me dites-vous de vous aimer ? Est-ce que je puis faire autre chose ? » — Du 26 octobre 1853, après un silence et une séparation de neuf ans : « Le silence n’est pas l’oubli, mais, je l’avoue, je craignais le vôtre. Vous retrouver, retrouver votre cœur m’a fait plus de bien que je ne saurais vous l’exprimer… À vous, comme il y a trente-cinq ans. » Quelques semaines plus tard : « Je suis d’avis que vous m’aimiez un peu, attendu que je vous aime beaucoup, et ce n’est pas d’hier. » Et le dernier billet qu’il adresse, moins de deux mois avant de mourir, à Mme Cottu, se termine par ces mots : « Mille tendresses. »

Qu’est-ce à dire ? Et ne faut-il pas admettre que c’est là le langage « d’un cœur vraiment épris ? » Ce qui pourrait le faire croire, c’est qu’à un moment donné, le confesseur et directeur de Lamennais, l’abbé Carron, crut devoir intervenir et prêcher la prudence. C’était au mois de mai 1819. Lamennais revenait « le cœur content » de Cernay où il était allé passer quelques jours auprès de Mme de Lacan. Peu après il lui écrivait : « Ce soir, après ma confession, M. Carron m’a dit que plusieurs personnes l’avaient averti qu’on s’étonnait dans le monde que je demeurasse à la campagne avec une jeune femme, et que cela produisait un mauvais effet ; qu’il croyait, d’après cela, devoir m’engager à ne plus retourner à Cernay. Que vous dirai-je de plus ? Si j’étais le seul à souffrir, je souffrirais beaucoup moins… Je voudrais qu’il me restât un peu de bonheur pour vous le donner. » Peut-être dans son for intérieur, et tout on en souffrant un peu, Lamennais trouva-t-il que la décision de l’abbé Carron n’était pas entièrement injustifiée, car, quelques semaines auparavant, voici ce qu’il écrivait