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sereine, et sous la forte moustache, naguère blonde et qui s’argente, un sourire un peu pâle enlevait toute morgue et même toute roideur à sa naturelle dignité. Quelqu’un dit près de moi : « Il a de la majesté, » et un autre, bon Lorrain et par là fort ennemi du « flafla : » « J’aime mieux cette majesté-là que tout le toc du Guigui avec son oiseau d’or et son bâton sur le cuisseau. » Moi qui le connais maintenant bien et ses jeux de physionomie, j’avais l’impression cependant que cette âme si forte était certainement mille fois plus émue, en ce triomphe, que lorsqu’en pleine tempête, à Verdun, il prenait en main la barre. Mais il lui plaisait de ne point « triompher » et de paraître égal à la bonne comme à la mauvaise fortune.

Quoi qu’il en soit, il y avait certainement « de la majesté, » suivant le mot que je venais d’entendre, dans cette haute silhouette : la figure pâle et sereine sous le képi à feuilles de chêne, la grande capote bleue où ne brillaient encore que les trois étoiles d’argent d’un simple divisionnaire, tombant comme une housse sur les flancs d’un cheval blanc. La brillante escorte de cent officiers de l’État-major général, escadron de colonels et de généraux du Grand Quartier général, augmentait plutôt, l’effet, que d’ailleurs le grand chef ne cherchait pas plus que l’autre. Le soir, un Lorrain me dit : « Cela me rappelait les tableaux de l’entrée du Petit Caporal dans une capitale : l’Homme tout simple dans sa redingote grise, suivi de l’escorte chamarrée. »

Au fait, rien ne pouvait plus plaire à des Lorrains (je verrais les Strasbourgeois un peu plus étonnés de cette absence de tralala). Mes compatriotes ne sont point amateurs de panache ; leur Drouot leur a toujours plus convenu qu’un Murat, et le grave Fabert était bien de chez nous. Ils n’aiment point qu’un les veuille épater, et, dans cette fête de Metz, plus recueillie que toutes les autres et où les larmes restaient suspendues dans chaque sourire, cette simplicité du chef paraissait plus émouvante.

Le public gardait, en effet, en dépit d’une joie immense, devant le défilé militaire, l’attitude d’une foule dévote devant une procession : on n’acclame point le prêtre, même s’il est cardinal, qui porte le Saint Sacrement, Pétain leur paraissait porter le Saint Sacrement, et le rapprochement, si hardi