Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette fois, la « manœuvre morale » de l’État-major n’est pas plus heureuse que la manœuvre stratégique ; ces fantasmagories ne trompent plus personne, même en Allemagne ; l’imposture est par trop grossière. Les pessimistes qui, au mois de mars, condamnèrent tout projet d’offensive, vont répétant l’éternel : « Nous l’avions bien dit ! » La presse tâche de les faire taire en soutenant que, si l’offensive est ralentie, elle n’est pas arrêtée, que les pertes de l’ennemi sont énormes, qu’il faut avoir confiance en Hindenburg et que, d’ailleurs, la propagande de l’Entente a démesurément grossi des succès sans lendemain. La France, ajoute-t-on, en maintenant ses troupes dans Reims, les sacrifie bien inutilement. « Les méthodes du commandement français sont cruelles, inhumaines, dépourvues de toute intelligence, indignes des principes d’humanité et de civilisation dont l’Entente se glorifie d’être le champion. » Mais les pessimistes se moquent de savoir si les méthodes de l’Entente sont ou non conformes à l’humanité, ils constatent simplement que les Français sont toujours dans Reims. D’ailleurs, la censure qui, au milieu du désarroi général, ne reçoit plus que des « directives » incertaines, laisse quelques journaux souligner « la gravité » de la situation. « Il importe, écrit le critique militaire des Münchner Neuste Nachrichten (21 juillet), que le pays se rende compte de la vérité : la France est encore très forte ; l’Amérique dispose en France de plus d’un demi-million d’hommes ; la guerre sous-marine ne suffit pas à l’empêcher de transporter de façon incessante son matériel et ses troupes sur le continent ; enfin l’armée anglaise est en bon état et prête à rentrer dans l’arène avec des effectifs renouvelés. Plus notre peuple se mettra en face de ces réalités, plus il rendra hommage aux prodigieux exploits de nos troupes, mieux il sera en mesure de se garder de tout jugement superficiel et d’examiner avec une calme assurance la véritable situation. Jamais il n’a été funeste à un peuple fort de regarder la réalité en face Peut-être se passera-t-il des semaines avant que l’initiative des opérations dont Foch s’est emparé puisse lui être arrachée. Toute hâte serait un danger et une faute de dilettante qui ne sera certainement pas commise. Toute nervosité à l’intérieur est sans objet. » Or, le peuple allemand n’a pas attendu ces conseils pour « regarder la réalité en face, » et c’est justement là ce qui cause sa nervosité.