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« calamiteuse, » puis roué de coups par autorité de justice, tout ici respire la pitié non moins que la souffrance ; tout y décèle un art non pas ironique, mais cordial, un art en quelque sorte à base de tendresse et de sympathie.

Dans le genre plus que tendre, amoureux, une scène unique de Marouf, unique à dessein, est bien jolie. Le soir des noces, la belle princesse et son mystérieux époux sont demeurés seuls : lui surpris, ému, jusqu’à défaillir, de son incroyable bonheur ; elle, un peu intriguée et vaguement craintive, mais désireuse d’aimer en différant de craindre. Ici le duo banal était à redouter. Il n’y a qu’un dialogue, et plus original, plus délicieux qu’on ne l’aurait pu rêver. Encore une fois, au cours de la comédie constamment plaisante et brillante, une telle péripétie est unique. Pour en exprimer le caractère et le sentiment nouveau, la musique s’est renouvelée. Ses rythmes, ses mélodies et jusqu’à ses accords, elle atout relâché, tout alangui. Elle a lié les notes qu’elle se plaisait à pointer, à piquer jusqu’ici. Loin de s’éparpiller en gouttes sonores, c’est largement, par grandes ondes, qu’elle s’est épanchée. Rien d’aimable, rien d’heureux comme cette surprise. Elle nous détend et nous délasse. Sur le front et les lèvres du jeune homme évanoui, avec le baiser de la jeune femme, celui de la musique elle-même est descendu. « Poésie sans frisson, sans morbidezza. » Henri Heine, décidément, n’a pas su comprendre ou prévoir tout entier le génie de la musique française.

Bien avant de s’appeler comme aujourd’hui, l’auteur de Marouf, M. Rabaud aurait mérité qu’on le nommât l’auteur de la Fille de Roland, inférieure à sa comédie, sa tragédie musicale n’était pourtant pas sans beauté. Solide, sévère, un peu froide souvent, elle s’animait, en certain passage, d’une héroïque et patriotique ferveur. Charlemagne, en ce passage-là, faisait vraiment une grande, une superbe figure. Témoin de la victoire de Gérald sur le Sarrasin, il entonnait d’abord, sous forme d’apostrophe ou d’invocation à la France immortelle, un libre, très libre récitatif, auquel cette liberté même donnait une allure d’éloquente et chaleureuse improvisation. Puis, avec l’entrée et l’hommage du jeune vainqueur : « Sire, voici Joyeuse et voici Durandal, » le style de la musique changeait, et la beauté s’en augmentait encore. De la forme récitative, un peu sommaire, jaillissait tout à coup non plus une forme unique, mais tout un groupe de formes nouvelles et de forces redoublées : un chant du vieil empereur, et, s’unissant à celui-là pour le soutenir et l’accroître, pour en multiplier l’expression et l’émotion, tous les contre-chants de l’orchestre,