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dont l’achèvement, différé toujours, doit la décider à choisir un époux.


Depuis qu’en ce travail la piété s’absorbe,
Bien des fois Je soleil a parcouru son orbe,
Et les doigts de l’aurore ont éveillé souvent
La forêt endormie, auprès du mont rêvant.


Il n’est pas mauvais, quelquefois, de lire, de relire les paroles sans la musique, même des paroles comme celles-ci, qui ne sont point méprisables, pour comprendre, sentir le peu qu’elles sont, qu’elles disent, et tout ce que la musique y ajoute, l’émotion qu’elle en dégage, la poésie dont elle les enveloppe et les baigne. La musique ici, la seule musique a tout créé, le paysage et l’état d’âme : l’un, vaporeux ; l’autre, flottant et rêveur, comme si, par je ne sais quelle secrète influence, dans l’âme, tout à l’heure encore irritée, du prétendant farouche, quelque chose avait passé de l’âme de la triste prétendue. Cette émotion et cette poésie, l’harmonie, autant que la mélodie, la suite des accords non moins que celle des notes, en est la source. Les accords se succèdent, se déduisent les uns des autres, se fondent les uns dans les autres, sans chromatisme, par une dégradation diatonique, et tout de même infiniment nuancée. A chaque instant, fût-ce deux fois par mesure, la tonalité se dérobe et nous échappe. Mais, pareille à la nymphe antique et comme elle fugitive, c’est pour se laisser non pas seulement voir, mais surprendre et saisir. A la fin de la période musicale, elle revient, et l’ayant retrouvée on peut douter si l’on a pris plus de plaisir à sa fuite ou à son retour.

Gounod répétait volontiers : « Jamais de bornes, mais toujours des bases. » L’art d’un Fauré peut bien reculer les premières ; il n’abandonne pas les autres. Errante et même un peu vagabonde, la pastorale du vieil Eumée, au début du second acte, flotte au-dessus d’un rythme constant, qui la suit, la retient et finit par la ramener. Nous partions en commençant d’un thème, fait de deux notes. Mais il s’en faut que la musique de Pénélope s’enferme toujours en des formules aussi brèves. Autant qu’à de tels raccourcis elle se plaît à des effusions généreuses. Son épargne n’a rien de l’avarice, ni de la sécheresse, encore moins de la stérilité. Maintes fois, au premier acte surtout, elle se donne carrière : témoin certaine mélodie, instrumentale d’abord et seulement dansée, où bientôt la voix de Pénélope ajoute et pour ainsi dire insinue un chant délicieux.