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y en aura 1 500 000 ; le sénateur Kahn fait même espérer le chiffre de 2 000 000 d’hommes.

La nouvelle de la participation directe des troupes américaines à la lutte, à Cantigny, à Château-Thierry, provoque une joie indescriptible : les grosses pertes annoncées, une immense émotion. On se rend compte de l’énormité de l’effort et des sacrifices que la guerre impose. Il n’y a plus aux États-Unis une bourgade, un village qui ne se sentent engagées à fond dans la lutte. Et contre les Allemands la haine, le mépris grandissent, atteignent bientôt une violence extraordinaire sous l’excitation des récits que publient les journaux. Des lettres de soldats parviennent de jour en jour plus nombreuses, se répandent, s’impriment : toutes dénoncent l’abominable félonie des troupes allemandes : elles font semblant de se rendre, et tirent ensuite sur les hommes qui les ont épargnées et dépassées. A de tels adversaires, aucune pitié ne doit être accordée : ils ne méritent que l’extermination. Toute l’attitude des hommes est instantanément changée par le contact avec l’Allemand : ils reviennent du front exaspérés contre lui : dans les hôpitaux, les « rest-camps, » il n’y en a pas un qui ne soit pour la guerre à outrance, le châtiment impitoyable, le massacre même ; et les Germano-Américains, j’ai pu le constater par moi-même, sont les plus violents. De douces vieilles dames dans les Y. M. C. A. m’ont dit avec tranquillité : « Il faut effacer l’Allemagne de la carte du monde à coups de bombes. » Pour qui connaît la douceur, l’humanité de ces idéalistes qui, si longtemps, furent des pacifistes, — je le sais pour telle d’entre elles, — rien n’est significatif comme pareille transformation. Pour tous et pour toutes la guerre à outrance devient un devoir sacré : c’est la lutte contre le mal même ; c’est une croisade. Les Allemands sont les ennemis nés de toute l’humanité. Aucun châtiment n’est trop fort pour de tels forbans. Les horreurs qu’ils ont infligées, ils doivent les connaître à leur tour, jusqu’au bout. La vieille loi du talion : œil pour œil, dent pour dent, est la seule loi à leur appliquer. Et du front et des hôpitaux, par les lettres, les récits circonstanciés, les rapatriés, ce sentiment se répand dans de paisibles villages des États-Unis, dans les profondeurs de ce peuple, si doux, si récemment féru d’idées pacifistes et humanitaires. Ces récits disent les dévastations allemandes vues, constatées par des témoins oculaires qui donnent