Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/907

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suprême. Ils ne réagissent sous aucune menace personnelle immédiate ; aucune haine aveugle ne les soulève, aucun intérêt égoïste, aucun espoir de profit, ni même de gloire vaine, aucune hérédité guerrière ni tradition de revanche. Simplement, ils ont compris la menace que cette monstrueuse Allemagne suspend sur toute liberté, toute douceur, toute civilisation vraie. Ils ne veulent rien pour eux-mêmes que leur part au sacrifice commun, aux communes souffrances infinies qui sont le prix de la victoire du Droit et de la Justice. Leur conscience outragée seule, et seuls les commandements de leur cœur ému leur inspirent une résolution égale à celle qui enflamme l’âme de ceux qui défendent leur patrie et luttent pour la vie. A la tâche sacrée d’abattre pour toujours ces forces antihumaines, ils vouent toutes leurs ressources, tout ce qu’ils possèdent et tout ce qu’ils sont, librement, sans contrainte, sans conditions, sans restriction, sans limite. Ce sont des croisés.

— En vérité, cela est beau. Une immense espérance nous vient à tous : les promesses exaltantes d’une ère nouvelle où le monde ne sera plus livré aux aveugles forces d’égoïsme, de déraison, de haine, de brutalité qui, dans le passé, en ont été trop souvent les implacables souveraines. Sur l’immense tragédie se lève enfin mieux qu’une certitude de victoire par les armes, le rayon d’une victoire morale, l’aube d’une religion nouvelle, celle de l’entr’aide désintéressée entre tous les hommes, de la solidarité et de la fraternité vraie sur toute la terre, enfin devenue une. Ce pays nous donne l’émotion sublime d’une vision nouvelle. Il agrandit notre idée de la générosité humaine. Il transporte dans le domaine des égoïsmes nationaux les loyautés, les piétés, les justices, les oublis de soi qui prévalent entre des frères. En vérité, cela est beau.

Mais cette vision ne s’impose pas encore à tous ni tout de suite, et j’anticipe sur les événements. Tous les foyers d’opposition ne s’éteignent pas en un jour. Tout le pays n’est pas encore gagné. Ce n’est que peu à peu que toute la félonie allemande se dévoile ; et c’est à force de révélations successives habilement distillées que le Président empêche la mémoire des trahisons anciennes de s’effacer, et entretient la flamme d’indignation que de subtils sophismes tentent d’affaiblir. Et, d’autre part, à partir du 6 avril, l’effort guerrier même des États-Unis exalte l’esprit de guerre : puisque l’on se bat, la démocratie