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bastions de ce massif de la Petite Suisse qui couvre le chemin de Compiègne et de Paris après que l’Oise a fait son coude au sud de Noyon. À la tombée de la nuit, après avoir tiré à bras les voiturettes de mitrailleuses, tout le monde était en place. Ici ou là, quelque poulet ou lapin oublié dans une ferme abandonnée, en attendant de servir à l’amélioration de l’ordinaire, servait déjà aux plaisanteries des escouades.

Qu’était-ce que cette 77e division ? Chacune de nos divisions a sa biographie personnelle, son visage. Celle-ci, longtemps, s’incarna dans un nom, dans un chef, Barbot. Et longtemps après que le général Barbot eut été tué en Artois, on l’appelait encore : la division Barbot ; comme on appelait la 70e, la division Fayolle. Barbot était de ces hommes qui passent modestes dans la vie ordinaire et que la guerre découvre d’un coup, à la façon de ces statues voilées qu’un jour de fête on inaugure. Né en 1855 à Toulouse, il commandait le 159e régiment, à Briançon, dans les Alpes, au moment de la mobilisation et pensait y finir sa carrière. Il aimait la montagne et ses alpins qu’il avait bien dressés. Dès les premiers événements d’Alsace où il avait amené son régiment, il connut cette satisfaction que, le soir du premier combat où sa compagnie reçut le baptême du feu, le capitaine Boutle, du 13e bataillon de chasseurs à pied, notait sur son carnet de route : « En quelques moments je me suis senti récompensé des vingt années de maussade instruction de recrues que j’avais faites. » Vingt ans de préparation payés par quelques minutes de sécurité pour le salut du pays : telle fut la première et la plus grande récompense de ce corps d’officiers qui avant la guerre avait obscurément travaillé à former des hommes. Dès le mois d’août, Barbot commande la brigade (159e et 97e). Au début de septembre, il commande la division qu’il réorganise dans les Vosges. Le 1er octobre, elle est transportée en Artois. Là, se formait, confiée au général de Maud’huy, une armée nouvelle (la 10e) dont les éléments, rassemblés de tous les points du front, débarquaient à toutes gares au Nord et au Sud d’Arras, s’ignorant les uns les autres et prenant le contact entre eux, en même temps qu’avec l’ennemi. Une clairvoyante direction coordonnait leurs mouvements. C’était la course à la mer. Il s’agissait d’empêcher la manœuvre d’enveloppement adverse et de gagner les Allemands de vitesse afin de tourner leur droite. La poursuite de la Marne