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ivresses, ramenèrent, de Metz à Mulhouse, le règne de la terreur, encore aggravé : l’Allemand avait eu peur ; il fut hideux dans la réaction. Nouvelle rafle de notables ou même de petites gens dénoncés pour avoir préparé la venue des Français. Parce que des prisonniers français avaient été secourus, amendes et jours de prison ; parce que le vénérable pasteur Gerold avait tendu à l’un d’eux un bol de bouillon, condamnation à la prison ; parce qu’une jeune Colmarienne en avait embrassé un, condamnation à la prison.

L’Alsace-Lorraine sentait se river ses fers. On ne se gênait plus pour étaler les projets de spoliation, de dépècement ; déjà ils étaient prêts à sortir transformés en mesures législatives. Si, en 1918, la France, ainsi que le proclamait dans chacun de ses numéros la Strassburger Post, était écrasée, on n’attendrait pas sa capitulation définitive pour réduire à la soumission les populations factieuses d’Alsace-Lorraine. Dans tous les bureaux allemands chacun forgeait des menottes, des carcans et des garrots. Dans une sombre angoisse, la province attendait.

Or, du 24 mars au 30 juin 1918, on n’entendit parler que des « magnifiques victoires » de l’« incomparable armée. »

Un grand vent de douleur passa à travers l’Alsace-Lorraine. La France semblait battue, cette fois, irréparablement ; cette affaire du Chemin des Dames, n’était-ce pas l’indice qu’elle était à bout ? Mais alors où était Dieu ?

Oui, dans leur désespoir, les Alsaciens-Lorrains, — en immense majorité si religieux, — doutèrent un instant de Dieu, puisque la France semblait succomber, et je ne connais rien de plus beau pour nous que cette désespérance qui, assimilant la défaite de la France à la victoire de l’Enfer, faisait crier : « Dieu est vaincu et, s’il est vaincu, est-Il Dieu ? » Devant moi, une Lorraine, le 16 novembre, à un général qui l’interrogeait : « Eh bien ! vous êtes contente ? Nous voici revenus ! » répondait avec une sincérité d’accent qui faisait la saveur de la réponse : « Mon Dieu donc, mon général, si vous n’étiez point revenus cette fois, on n’aurait plus été à la messe ! » J’ai entendu un prêtre alsacien dire : « Je crois que je me serais fait mahométan. » À Strasbourg, des protestantes, — exaspérées, — cessèrent d’aller au prêche. Un prisonnier français, qui, à Allschweiler, dans le grand-duché de Bade, recevait des nouvelles d’Alsace, écrivait en septembre : « Les Alsaciens