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REVUE DES DEUX MONDES.

le 25 février 1910. « Comme j’ai eu tort de passer quatre ans sans retourner là-bas ! me disais-je encore. Mon inquiétude même, — qui est bien le résultat de mes impressions de 1905, — n’est-elle point criminelle ? En tout cas, elle me fait mal. Je suis reconnaissant à M. Spittler de m’avoir appelé à Colmar. »

Quelques jours après, je repassais les Vosges, cette fois entre Schirmeck et ma vallée de Lorraine, dans un trouble peut-être aussi grand, mais d’une nature si différente ! Une joie sourde, et à laquelle en vain j’essayais de mettre quelque frein, m’envahissait. Et sachant rester dans le cadre de cette étude, je n’hésite pas à en donner la justification.

De la conférence à Colmar je ne dirai rien que je n’aie déjà dit : même atmosphère que devant l’échange des regards, — et comme des âmes, — avec un public à qui tout ce qui venait de France semblait message d’une mère à la fille exilée. Mais de retrouver cette atmosphère était, après mes doutes, chose délicieuse. Il y avait plus : dans les salons qui s’étaient ouverts, c’était encore la même impression jadis ressentie : une société française, à la causerie nuancée et un peu ironique, — très ironique, dès qu’il s’agissait des quotidiennes balourdises allemandes, — et, à dire vrai, une ville qui ne m’apparaissait pas conquise, mais en quelque sorte occupée. Seulement, c’était Colmar, qui, de toutes les villes d’Alsace-Lorraine, était la moins pénétrée de germanisme. Le maire Blumenthal y résistait, le député Jacques Preiss y protestait, Hansi y menait guerre de franc-tireur, et l’abbé Wetterlé était, — exactement la veille, — sorti de prison au milieu des acclamations ; arrivant vingt-quatre heures plus tôt, j’eusse assisté à la scène. Peut-être, après tout, valait-il mieux que je n’eusse point été témoin d’une manifestation qui peut-être m’eût incité à une émotion démesurée. Mon émotion venait réellement de ma conversation avec un très jeune homme qui, élève de l’Université de Strasbourg et à la veille de coiffer le casque à pointe, s’était, à la vérité, gardé de toute déclamation et même de toute confidence intime, et qui cependant, presque sans s’en douter, m’avait, tant elle débordait, livré l’âme de sa génération. J’avais, trois jours durant en Alsace, poursuivi et approfondi mon enquête, et voici ce que je voyais.

Il s’élevait en Alsace, — et, me disait-on, en Lorraine, — une génération, dix fois plus hostile à l’Allemagne, et, pour