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Ici, une question se pose : y a-t-il bien une Syrie ? Une Syrie dont on doive dire qu’elle est un peuple et non pas une expression géographique ? Chez les populations établies de Beyrouth à Mersine et à Gaza, de Damas à Orfa et à Jérusalem, trouve-t-on au moins les éléments d’une conscience nationale commune ?

Certes, l’histoire a travaillé ici au rebours de ce qu’elle a fait dans notre Occident : elle y a constamment contrarié l’éclosion de nationalités dont la nature avait pourtant fourni le cadre.

Le pays compris entre le Sinaï et le Taurus, entre la Méditerranée et le désert, semblait désigné pour être le berceau d’une même société politique. L’esprit théocratique, ce mauvais génie de l’Orient, trop bien représenté par les Turcs, n’a pas laissé cette société se former. Il a tout ramené à la religion, comme au seul lien qui unit les hommes. Il a mis à part les uns des autres les musulmans, les juifs, les chrétiens, et dans la chrétienté même les Maronites, les Grecs-orthodoxes, les Grecs-unis. Il a réparti les trois millions d’habitants de la Syrie en huit ou dix communautés fermées. Il a, peu s’en faut, rendu étrangers l’un à l’autre deux villages voisins, si l’un est de rite grec, l’autre de rite maronite. Les réformes solennellement proclamées depuis quatre-vingts ans et périodiquement renouvelées par les sultans sous la pression de l’Europe n’ont guère changé le fond des choses. A la veille de la guerre encore, la Syrie était moins une patrie que l’habitacle des communautés qui s’y juxtaposaient ; et il ne semblait guère que ces personnalités distinctes et rivales fussent préparées à s’unir dans la personnalité plus large d’un État national ou d’une Fédération.

La persécution turque aura fait ce miracle. Impossible de n’être pas frappé de la netteté avec laquelle le conseil administratif du Liban et les nombreux comités syriens, qui élèvent la voix au seuil de la Conférence de la paix, demandent que la Syrie soit admise à organiser son indépendance sous l’égide de la France. C’est bien pour la Syrie, sol et populations, que parlent ces Syriens, ce n’est pas pour leurs communautés respectives. Initiés, soit par l’action des Français en Syrie, soit