Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/781

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à peu de Deïr-el-Kamar ; la population de la petite ville maronite se réfugiant naïvement sous la sauvegarde de l’autorité turque, dans la grande cour du sérail ; le massacre répondant à cette confiance ; les cadavres entassés par centaines dans l’asile devenu guet-apens ; puis, après plusieurs mois, car la France est loin, l’arrivée d’une colonne française. Et nos soldats avaient si bien fait pour ramener, dans la petite ville cruellement meurtrie, la vie et la sécurité que leur départ, l’année suivante, avait été senti comme une calamité.

Le consul de France ruminait ces souvenirs en suivant à cheval la route alors récente qui, à travers les premières hauteurs du Liban, toutes verdoyantes de bois de pins, menait de Beyrouth à Deir-el-Kamar. A sa gauche, à proximité de cette route, filait dans la même direction une chaussée abandonnée. Son cavas lui confirma que c’était bien celle que nos soldats avaient construite, après le massacre, pour ravitailler Deïr-el-Kamar. Entre les hautes collines boisées, couronnées de vieux couvents indigènes aux profils de forteresses, elle allait, la petite chaussée en ruine, montant, descendant, se glissant comme pour conduire plus vite au but les secours de la France. Avec quelle puissance d’émotion elle évoquait, dans cette grave solitude, les ombres de ceux qui l’avaient bâtie, qui étaient venus représenter là l’âme généreuse de leur pays lointain !

Depuis une heure peut-être aucun vivant n’avait paru, quand un homme accourut de très loin vers la route. Vêtu de la culotte bouffante et de la petite veste syrienne, il se hâtait de toute sa vitesse entre les blocs de grès qui jonchaient la montée. Arrivé tout haletant auprès du consul, un éclair de joie exaltée dans ses yeux largement ouverts, il ne fit que saluer, les deux mains sur sa poitrine, celui que la France avait envoyé. Ce fut comme si l’esprit du lieu s’était donné un corps pour s’exprimer par ce geste muet de reconnaissance.

Au pont du Nahr et Kadi, une petite escorte de cavaliers libanais, sous un uniforme assez semblable à celui de nos spahis, attendait le consul de France. A l’approche de Deïr-el-Kamar, point de foule en mouvement, point de cavalcade, point de coups de fusil, point de stridents you-you féminins lancés éperdument du haut des terrasses. Ni un passé qui pesait sur les cœurs, ni le voisinage du gouverneur. ottoman, dont l’agent français était l’hôte, ne se prêtaient à des expansions