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et y laissa comme souvenir des barbes de dentelles. Un autre Grollier, collectionneur, y réunit d’admirables porcelaines qu’il légua à la manufacture de Sèvres.

En juillet 1914, le château, son parc et ses terres avec son faire-valoir, réserve à l’élevage des chevaux de Corlay et des vaches bleues de Belgique, appartient au vicomte et à la vicomtesse du Pontavice, née Grollier. Les toits viennent d’être réparés. Les moissons mûrissent et n’ont jamais été plus belles. Les cultivateurs du village les considèrent avec fierté. La prospérité habite avec eux leurs gentilles maisons riantes. Et les pelouses sont toutes bourdonnantes de jeux d’enfants.


II. — LE CHÂTEAU-FRONTIÈRE

Le 1er août 1914, au Plessis comme dans toute la France agricole où la préoccupation des moissons prime tous les événements politiques, le tocsin sonna le dur réveil de tous les rêves de paix. Et, comme dans toute la France, ce fut l’acceptation immédiate, non pas joyeuse certes, mais sérieuse et mâle, résignée et profonde. Notre pays, qui n’avait pas voulu la guerre, entra dans la guerre avec un calme qui aurait laissé prévoir à tout autre qu’à un ennemi atteint d’aberration morale son endurance et son esprit de sacrifice. Presque tous les hommes du Plessis, château et village, partirent, leur maire en tête, ancien officier qui était encore capitaine au 45e régiment d’infanterie territoriale à Mézières. Ce qui restait, quelques vieux, des enfants, les femmes, dont Mme du Pontavice qui semblait avoir hérité la charge communale de son mari, se précipita dans les champs pour achever de les dévêtir.

Le travail pressait : on n’entendait aucune rumeur, seulement le crissement des faux contre les tiges des épis et le heurt monotone de la pierre contre le fer de l’outil qu’affûte avec patience le moissonneur. Les premiers jours, la prise de Mulhouse avait été saluée comme un prélude de victoire. Puis, on ne savait plus rien. Des Anglais passèrent, qui descendaient vers l’Oise. Leur direction parut singulière, mais les officiers parlaient de « concentration stratégique. » Ils buvaient si joyeusement le cidre ou le Champagne qu’on leur offrait ! certainement non, de si gais compagnons ne battaient pas en retraite. Aussi, le 24 août, l’arrivée des Allemands, — une patrouille