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les lecteurs. Le moyen de lutter contre cet enchanteur qui monopolisait tous les genres littéraires : drame, roman, chronique, autobiographie, comédie, histoire, journalisme ? De là une animosité envieuse qui se manifesta en de nombreux pamphlets, plaquettes éphémères bien oubliées, devenues, pour la plupart, presque introuvables et dont l’acide éventé ne corrode plus que le nom obscur et la falote réputation de leurs auteurs. Ce qu’ils réprouvent chez l’auteur d’Antony, c’est sa vanité formidable : ils lui reprochent une outrecuidance, des rodomontades et des vanteries à faire esclaffer de rire les deux hémisphères. « Orgueilleux comme Satan, » écrit l’un. Or, est-il un écrivain qui fût, en réalité, plus foncièrement dépourvu de prétention ? Rappelant le récit de la chasse au lion qui se trouve au début de son Charles VII il dira : « Dans cette scène sont quelques-uns des rares bons vers que j’aie faits… » Ailleurs, il parle « de sa prose ignorante et incorrecte. » Le grand succès de son drame Térésa lui paraît « suffisant comme amour-propre, insuffisant comme art… » Sans doute, étant connu le nombre de ses admirateurs, pouvait-il s’offrir le luxe de se juger soi-même avec une insouciante franchise ; mais en citera-t-on un autre qui professât plus sincèrement le respect et l’estime du talent d’autrui ? Alors qu’il était pris d’inquiétude sur la durée de son œuvre et sur le jugement de la postérité, il conservait intact ce don d’admirer qui, — a-t-on remarqué justement, — créa la splendeur et la force du groupe romantique. Vingt-cinq ans après la lecture de Marion Delorme, le drame de Victor Hugo, l’enthousiasme de Dumas n’avait pas vieilli : « J’étais écrasé, contait-il, sous la magnificence de ce style, moi à qui le style manquait surtout. Je donnerais celui de mes drames que l’on voudrait prendre au choix pour avoir écrit le quatrième acte de Marion Delorme ! » et comme il achevait, à cette époque, Charles VII, il se disposait, ayant honte de sa poésie après avoir entendu celle d’Hugo, à remettre en prose son drame qu’il venait d’écrire en vers.

Même admiration pour Balzac, avec lequel pourtant Dumas n’avait jamais été lié et qui ne cachait pas son dédain pour cet « amuseur. » On cite certains mots, un peu trop durs, décochés par l’auteur du Cousin Pons à l’adresse du père des Mousquetaires ; la riposte ne manqua point, comme bien on pense ; mais cette vieille rivalité n’empêcha pas que, en 1851, apprenant