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Triompher ? Où ? Comment ? Quelle vraisemblance que, harcelé par tant de soucis, obsédé par la hantise du pain quotidien, cet aventureux parvienne à produire une œuvre assez marquante pour être lucrative ? La produirait-il, par qui, dans quel théâtre la faire jouer ? Trouverait-il seulement quelqu’un qui la lise ? En supposant, d’ailleurs, ces obstacles surmontés, le bénéfice d’une si difficile entreprise est des plus minimes. Le public, même celui du Théâtre-Français, est saoul de tragédies : les pontifes du genre, les Arnault, les Lemercier, les Viennet, les Jouy. les Andrieux, fournisseurs habituels et illustres de la maison, ne récoltent que des recettes de famine. Les spectateurs réclament autre chose que les sempiternelles et lointaines imitations de Mérope et de Cinna ; mais quoi ? — Ils ne le savent pas, ni personne : et ce n’est certes pas ce petit employé de bureau, sans expérience littéraire, qui découvrira la nouvelle formule d’art que le XIXe siècle attend.

Si ! Ce sera lui. Il a vu au Salon un petit bas-relief, exposé par Mme Fauveau et représentant un homme, en costume du XVIIe siècle, expirant aux pieds d’une femme. Assassinat de Monaldeschi, indique le livret. Dumas est si peu instruit de notre histoire qu’il ignore absolument cet épisode fameux ; jamais il n’a même entendu le nom de la reine Christine. La curiosité le prend d’ouvrir un dictionnaire biographique, d’y chercher les notices consacrées à ces deux personnages ; il les copie, les met en poche et le voilà, entre deux expéditions, ou, la nuit, après son travail, rimant cinq actes sur ce dramatique sujet. En deux mois Christine est achevée, reçue à la Comédie-Française, grâce à une combinaison de divins hasards trop admirablement contée dans les Mémoires, pour qu’on ose ici la rapporter. Les pensionnaires ordinaires du Roi ne jouèrent pas ce drame parce que l’auteur, bien imprudent mais chevaleresque, céda son tour à une autre Christine, œuvre d’un poète classique très vieux et très bien en Cour qui, patientant depuis longtemps, souhaitait voir, avant de trépasser, sa tragédie représentée. Il n’eut pas ce bonheur et disparut avant sa pièce qui, elle, mourut jeune et sans gloire. Quant à Dumas, il s’était remis au travail : un nouveau drame, en prose celui-ci, était né dans son esprit de quelques lignes d’Anquetil lues par aventure : c’était Henri III et sa Cour. Du 11 février 1829, jour mémorable de la première représentation, date l’ère révolutionnaire