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fantassins allemands qui occupaient le terrain entre le village et Canny, et qui sont complètement surpris. Mitrailleuses et fusils-mitrailleurs démoralisent et dispersent les postes et les groupes qui, çà et là, tentent de résister, ailleurs cherchent à se garer des feux en gagnant d’anciennes tranchées devant Lassigny, ou lèvent les bras en criant.

L’aspirant Leniand qui commande une section de la compagnie Mestre relate ainsi la première phase du combat : « Quelques obus, des balles sifflent, à gauche une mitrailleuse crépite et nous arrose copieusement. Heureusement, voici la route du Plessis, ma section en tirailleurs le long du talus exécute un feu ; à gauche, la section Grisez fait taire les mitrailleuses. Quelques Boches fuient : mes hommes bondissent en avant, et c’est la poursuite. Les tranchées ennemies sont à trois cents mètres de nous, des Boches épouvantés en sortent et courent vers la crête en tiraillant. Je fais alors arrêter ma section derrière une levée de terre et exécuter un feu : les cibles sont nombreuses et fort belles ; elles tombent toutes. Les fusils-mitrailleurs ont fait là un excellent travail. En avant ! nous avançons rapidement, les hommes enthousiasmés tirent en marchant sur les nombreux Allemands épars dans la plaine et manifestent bruyamment leur joie. Ce jour-là, chaque homme de ma section a abattu sa paire de Boches. Nous arrivons aux tranchées ennemies : elles sont remplies de morts et de mourants. Quelques mitrailleuses, des fusils-mitrailleurs, du matériel de toutes sortes jonchent le sol, des groupes d’Allemands se rendent, nous leur indiquons la direction à prendre, et ils partent lestement. — Brusquement, à 50 mètres de moi, j’aperçois un mouchoir blanc qui se déploie au niveau de la tranchée : je m’approche, c’est un Boche qui veut se rendre, mais qui n’ose montrer la moindre parcelle de son individu. A l’aspect de mon revolver, il pousse un cri guttural : « Kamerad, » et lève désespérément ses longs bras. Je l’envoie rejoindre les autres. Jusqu’à la crête, le terrain est parsemé de corp ? ; . Ils sont là dans toutes les poses : l’un renversé sur le dos, la gorge ouverte, est hideux à voir ; l’autre, recroquevillé sur lui-même, les poings crispés serrant l’arme, le casque ouvert sur le côté laisse voir une entaille sanglante ; là-bas, un autre, blessé à mort, se roule convulsivement dans la boue : il est couvert de sang et sa bouche est remplie de vase. Elle est amère, cette terre de