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aux ordres qu’il avait reçus, s’était éloigné d’une portée de fusil [1]. Les plus agiles essayèrent de mettre à flot une lourde barque qui se trouva tellement ensablée qu’il fut impossible de la pousser au large. De tous côtés, les habitants accouraient en armes, et ils entretenaient un feu continuel. Trois des Corses étaient tués, d’autres blessés. Les survivants n’avaient plus qu’à se rendre ; ils furent alors injuriés, menacés, quelques-uns blessés. Le Roi seul fut épargné. « Il paraissait inspirer encore assez de crainte pour empêcher ces forcenés de se porter à des excès contre lui. » Cependant on lui arracha ses épaulettes qui étaient en or.

Au milieu des cris, des vociférations et des injures, les prisonniers arrivèrent au château, où ils furent tous enfermés dans un corps de garde. Le gouverneur des biens du duc de l’Infantado, M. Alsala, vint s’informer de leurs besoins, et s’efforça d’y satisfaire. Quant à Trentacapilli, il ne pensait qu’à son aubaine. Il se fit remettre les papiers du Roi, — parmi lesquels la reconnaissance de 500 033 ducats, la proclamation et les décrets, et la cocarde faite de diamants, dont il garda quelques-uns pour sa bonne main. Quelques heures après, il revint faire subir aux détenus un interrogatoire d’identité.

Ensuite, apparut le général Nunziante, commandant la division des Calabres, qui, ayant appris à Tropea l’arrestation de Murat, était accouru avec un détachement d’infanterie. Nunziante n’avait jamais servi que les Bourbons. Il n’avait jamais eu aucun contact avec les rois napoléoniens. Il fut correct et courtois, mais il n’eut garde de traiter Murat en tête couronnée, ce qui eût été trahir son souverain. Il l’appela : Général. Murat esquissa vis-à-vis de lui la même justification que ci-devant. Il venait de Corse, avec les passeports des Puissances alliées, pour se rendre à Trieste. La tempête avait mis ses deux petits bâtiments hors d’état de continuer le voyage : manquant de vivres, il s’était décidé à relâcher au Pizzo, pour, de là, gagner Monteleone, y obtenir les autorisations nécessaires,

  1. On lui a reproché de n’être point venu tirer son petit canon sur les agresseurs de Murat, d’avoir fait voile quand il avait aperçu que le Roi et ses compagnons étaient prisonniers. On a dit qu’il avait emporté une valeur considérable en pierres précieuses, et que c’était là, la raison de sa fuite. « Or, il s’en vint à Ajaccio où il dut subir une quarantaine pour avoir communiqué avec des bateaux barbaresques : on a dit qu’il avait été de complicité avec eux... Tout cela sans preuve.