Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/609

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui parlèrent raison, tous ne firent pas de même. « Le 7 octobre, raconte le valet de chambre Charles, qui avait accompagné son maitre partout, même à la guerre, le Roi se leva à la pointe du jour. Ses officiers l’entourèrent. Il leur dit en regardant tristement la Calabre : « Messieurs, je suis on ne peut plus sensible au dévouement que vous avez pour moi, mais je ne crois pas qu’il soit prudent de descendre à terre d’où je n’ai aucune nouvelle, avec si peu de monde. Ce serait peut-être sacrifier la vie des braves gens qui m’ont suivi. Retournez, messieurs, dans votre patrie, sur la petite felouque qui me reste. Quant à moi, je vais m’abandonner à la mer, sans savoir où le sort me jettera : tel coin de terre que j’habite, je me rappellerai de vous et de la noble hospitalité que les Corses m’ont donnée. Ils trouveront toujours en moi un père et un ami. Je vous prie d’accepter ce sac de mille francs, c’est tout ce que je puis vous offrir pour vous aider à regagner votre pays. »

« Le Roi, pendant ce discours, était très ému : il laissait couler quelques larmes, et il était facile de juger combien il éprouvait de sentiments divers. Le général Franceschetti répondit qu’après avoir surmonté tant d’obstacles, bravé tant de dangers pour arriver sur les côtes de la Calabre, il ne concevait pas qui pourrait empêcher Sa Majesté d’entrer dans son royaume où tous les cœurs étaient pour lui, où tous les bras allaient s’armer pour sa défense. Avec les sentiments que Votre Majesté inspire, qu’est-il besoin d’armes et d’armées ? Votre présence seule. Sire, est la terreur de vos ennemis et l’espoir de vos fidèles sujets. Qui osera vous résister ? Votre descente sera la plus brillante époque de votre histoire ! qu’il est beau, Sire, d’exécuter de grandes choses avec de petits moyens. Cela n’est réservé qu’aux héros. A terre ! à terre ! s’écria le général, et vive Joachim [1] ! »

Murat n’avait pas besoin de telles excitations. Dès qu’on lui proposait un exploit extraordinaire, il se tenait forcé de l’accomplir ; ce fut donc un coup de tête qui le jeta sur la plage du Pizzo. Aucune intelligence n’avait été pratiquée avec les

  1. Il se peut que Charles se soit trompé de date, mais cet homme qui ne quittait jamais le Roi, même à la guerre, n’avait aucun intérêt à faire, en 1815. une fausse narration à la Reine, et si son récit contredit entièrement celui de Franceschetti, n’est-ce pas que celui-ci avait tout intérêt à prouver qu’il n’avait en rien influé sur la décision du Roi ?