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places sont dépourvues de vivres ; l’argent manque pour tous les services et il y a un grand nombre de mécontents. En outre, beaucoup de gens, comptant sur les embarras actuels du gouvernement français, parlent ouvertement d’indépendance. Si réellement le roi Joachim a de l’argent, il peut, dans huit jours, être maître de toutes les places fortes et par conséquent de toute la Corse. »

L’un de ceux qui avaient accompagné Joachim a dit que, « voyant la Corse presque en proie à l’anarchie, et les magistrats nommés par l’Empereur, menacés de destitution aussitôt que le gouvernement des Bourbons aurait été définitivement établi, le roi Joachim crut qu’il ne serait pas difficile d’établir en Corse un gouvernement provisoire qui, sous les apparences de gouverner au nom de Louis XVIII, lui faciliterait les moyens de s’embarquer, et d’emmener avec lui une force d’hommes assez considérable pour mieux assurer le succès de son entreprise. Il se flattait alors qu’après avoir reconquis le royaume de Naples, le gouvernement provisoire de la Corse aurait déclaré l’île en état d’indépendance, et l’aurait incorporée au royaume des Deux-Siciles... On tint pour cela, afin de complaire au Roi, deux séances auxquelles assistèrent plusieurs personnes, entre autres le général Gentile. »

Il est remarquable que, même en cette occasion où il eût rencontré des facilités au moins momentanées qu’il n’eût trouvées nulle part, il a toujours placé la Corse au second plan. Elle était un point de départ, au même titre qu’eût été l’île d’Elbe ; Naples et le royaume ne cessaient jamais d’être l’objectif.

Dès les premiers jours de son arrivée en Corse, le 29 août, Murat avait expédié à l’Ile d’Elbe deux agents : l’un, un nommé Lanfranchi, ancien officier de cavalerie, devait porter à Florence, au grand-duc, une lettre renfermant un billet pour la reine Caroline. Cette première négociation, uniquement familiale, échoua devant le refus formel du ci-devant grand-duc de Wurtzbourg de recevoir et de transmettre la moindre commission. N’en avait-il pas fait autant pour Napoléon et Marie-Louise ? L’autre envoyé était le sieur Simon Lambruschini, de Bastia, que Murat avait trouvé moyen de munir d’un passeport français pour Florence. Arrivé à Porto-Ferrajo, où il devait faire quarantaine, Lambruschini se mit en rapport avec un habitant de la ville, originaire de Bastia, qui se chargea de