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ce désordre je vois les débris d’un berceau d’osier, petit lit de paysan qui se dénatte, usé par le soleil et les pluies. Les splendides glycines, tout imbues d’elles-mêmes, semblent repliées sur leur propre parfum et rêvent à l’écart du monde. Mes mains voudraient déblayer d’abord, et puis forcer la porte barrée de la chapelle pour me permettre de goûter une fois encore à l’eau aérienne de ce puits de songe et d’amour. Mais personne n’entre plus dans l’église désaffectée.

Quoi ! je suis séparée ainsi de ma jeunesse, séparée de la jeune fille que j’étais et que j’allais revoir, là, sur le prie-Dieu de bois et de rouge velours où. tantôt distraite, tantôt absorbée, elle posséda la seule part de sa destinée qui ne fut point déchirante. Ce n’est que du dehors que je puis contempler les vitraux bleuâtres et violacés, ce mensonge béni que colorait l’air intérieur de la chapelle de la teinte des golfes, et me plongeait vivante dans le même azur sombre qu’habitent les récifs de corail, les perles orgueilleuses et la méduse rose, fleur écumeuse et spasmodique des mers...

Et elles, où sont-elles allées, ces recluses et demi-recluses qui pensaient au ciel ? L’idée fixe céleste semblait être piquée sous leur front comme les lucioles dans la prairie du soir. Humbles lampes naturelles, elles prenaient leur place parmi ce qui brille et médite. entre les phalènes et les astres.

Hormis la candide beauté du monde, que tout est soudain triste ici ! Je me retire, je m’assieds sur le coin d’un banc demeuré là. Je rêve à ce que fut la vie. J’ai voulu toute chose ici-bas et, si je songe, je m’aperçois que je n’ai rien voulu qui ne fût le ciel. Et lequel d’entre nous, parmi les humains enflammés d’une digne et douloureuse ambition, a cherché quelque chose d’absolu, de profond, de constant, de durable qui ne soit pas le ciel ? Le ciel, non point comme l’entendaient ces simples femmes en prière, ni comme l’entendent les croyants et les prêtres, mais ce ciel qui est l’espace et l’infini, qui a pénétré la terre et les hommes, qui les sollicite par l’orgueil, la passion, le courage, la pitié, le besoin d’éternité et le spectacle de la mort ; ce ciel qui ne nous laisse plus de repos en ce qui concerne la possession des choses de la terre ! Je me reporte sans cesse au puissant soupir de Septime Sévère, assis sur une des collines de Rome, et de là regardant mélancoliquement du côté d’Albe la Longue : « J’ai été tout, murmurait-il,