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m’assure-t-on, la nausée. Le maire me contait que, revenant devant le capitaine X..., sur ces répugnants détails, il lui avait déclaré que rien, dans cette région, n’en effacerait le souvenir. « Il est vrai, répondit le capitaine. Et moi qui me proposais, après la paix conclue, de revenir passer quelques jours à Lille ! Je m’aperçois que j’y devrai renoncer. » La même idée reparait, avec plus d’énergie encore, dans l’éloquente et courageuse lettre qu’après avoir mené personnellement son enquête sur ces monstruosités, M. Guérin adressa au général Zollern, du Grand Quartier général. « Ce serait, disait-il, une tache ineffaçable dont serait terni l’honneur allemand. La guerre ne durera pas toujours. Or, après la guerre, il ne serait pas possible à un Allemand, quel qu’il fût, de reparaître en ce pays. »

M. Guérin a dit vrai. Le Français passe pour oublieux. Il se peut que le Français du Nord n’échappe pas à ce reproche. Mais, à supposer qu’avec le temps, il laissât tant de cruelles images s’évanouir de sa mémoire, — ses richesses mises au pillage, ses édifices renversés par le bombardement, ses maisons détruites par l’incendie, ses concitoyens molestés, soumis aux insupportables violences ou aux irritantes taquineries, — il est un forfait sur lequel, après des siècles, l’ombre de l’oubli ne s’étendra pas : celui qui, chez nous, se perpétra froidement, continûment, pendant la semaine de Pâques 1916. Les générations se transmettront les unes aux autres le récit de ces nuits et de ces matinées de terreur, le tableau des hontes qui suivirent. Nos descendants garderont à jamais présente l’affreuse vision, ne fût-ce que pour se mettre, plus prévoyants que nous, en garde contre un retour offensif du militarisme germanique.


UN DOUBLE ASSASSINAT

Novembre 1916 avait bien tristement débuté. Le mois, en se déroulant, amènerait-il des jours moins amers ? Nous nous primes à l’espérer. La nouvelle, commençait à se répandre que les évacués d’avril, affranchis de la servitude rurale qui leur avait été imposée, allaient regagner chacun sa petite patrie. La presse allemande en publiait la promesse, prenant soin d’ajouter que cette décision était due, pour une grande part, à l’initiative humanitaire du roi d’Espagne. Ce n’était pas un on-dit mensonger. Les rentrées se succéderont pendant tout la mois ;