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informa qu’un affreux événement était sur le point de porter dans les trois villes une nouvelle désolation. Les Allemands annonçaient leur résolution de contraindre une partie considérable des habitants à abandonner leurs demeures pour se rendre dans telles ou telles localités plus ou moins lointaines.

Le lendemain 14 au soir, je me trouvais dans le cabinet du maire de Lille, avec une nombreuse assistance formée de conseillers et de familiers de la municipalité. Là j’appris que M. Labbé, l’actif secrétaire général du Comité d’alimentation, venait d’être avisé par un officier allemand que 50 000 personnes, dont 30 000 femmes, seraient prélevées dans les trois villes et conduites dans les Ardennes, où les bras manquaient pour les travaux des champs. M. Labbé avait bondi à cette nouvelle et, faisait allusion au vaste service auquel participaient, sous sa direction, des nuées de collaborateurs : « Mais vous allez tout désorganiser ! » s’était-il écrié. « Au contraire, répondit l’officier, nous organisons tout. » Comme eut dit Tacite, « là où ils font la solitude, ils l’appellent de l’organisation. »

Au maire rien n’a encore été officiellement signifié. Cependant un chef de service a reçu l’ordre de dresser, pour la remettre à l’autorité militaire, la liste des fonctionnaires indispensables à la marche des affaires municipales ; ce prodrome ne permet plus le doute. Aussi M. Delesalle nous donne-t-il lecture d’une protestation anticipée qu’il compte faire remettre dans la soirée même au gouverneur. Différer jusqu’à ce que la « proclamation » ait paru, serait attendre de se trouver devant un fait accompli et réduire à zéro la chance que la mesure soit rapportée. L’évêque et le sous-préfet font de même : Chacun d’eux rédige une protestation, en se plaçant à un point de vue distinct. Le maire, en des termes touchants, rappelait tout ce que ses malheureux concitoyens avaient enduré, et il s’appuyait sur la déclaration faite, en septembre 1914, par le premier gouverneur de Lille, que les populations civiles seraient respectées. L’évêque invoqua les hautes raisons d’ordre religieux, valables pour toutes les confessions, qui s’opposaient à une décision inique. M. Anjubault se réserva le terrain juridique. Son argumentation, tout objective était d’une solidité à toute épreuve. « Si, depuis plusieurs siècles, disait-il, la liberté individuelle des combattants n’a jamais fait l’objet de stipulations