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de nuit et mes chaussons. C’est suffisant. J’y vais tête nue. Nous serons debout, les mains libres, les yeux non bandés. Voici les conditions. Nous crierons : Vive la République ! Vive la France ! et nous nous dispenserons de rien dire aux exécuteurs qui paraissent consternés. Nous avons vu des soldats pleurer. » « Depuis le jour où nous avons été séparés des autres et mis dans cette cellule, il n’y avait plus de doute et on pouvait nous raconter des histoires, mais les allées et venues, la surveillance dont nous étions entourés définis quelques jours, indiquaient bien le verdict et le résultat. Nous avons été condamnés avant d’être jugés… » Puis les dernières lignes : « Voici l’heure fatale. Nous allons mourir en braves… Au revoir, mes chéries. Je vous donne une dernière fois à chacune et à mon cher Léon (soldat, au front) un gros, aimant et amoureux baiser. Adieu ! » Ces feuilles, ces pathétiques feuilles, je les ai vues de mes yeux. Toute la lettre est au crayon bleu ; l’écriture en est allongée, nette et ferme, sans une rature. La main qui a tracé ces lignes, pas une seconde, n’a tremblé.

Enfin, touchante et sainte relique, au verso d’une belle et récente photographie où figurait la famille au complet, la famille en plein bonheur, le père, avant d’aller à la mort, avait, en la couvrant de baisers, écrit ces mots dont je m’efforce de reproduire l’exacte disposition :

Citadelle de Lille, 22 septembre 1915.
Ma très chère femme,
Ma très chère enfant.

Au moment de partir pour le poteau d’exécution, j’embrasse tendrement une dernière et suprême fois votre image adorée. Mon dernier baiser déposé du fond de mon cœur ici pour vous. Adieu !

Ici mon baiser.

Vive la France !
Jacquet.

A cette heure même, par une féroce prévoyance, ordre était Donné à l’imprimerie officielle allemande de composer l’affiche, sur papier rouge, qui annoncerait, dès l’aube, aux habitants la quadruple exécution. On la publiait, avant même qu’elle fût consommée. C’est avec un frisson d’horreur, que les Lillois virent, au lever, placardée sur les murs, la sanguinaire information. Elle était ainsi rédigée :