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un travail de plusieurs semaines. Quant à nous autres, les inutiles, rien n’était modifié pour nous.

Cet événement, éclairé par les commentaires de notre interprète, acheva de nous édifier sur les causes, d’abord si obscures, de notre détention. Déjà, quelques furtifs propos, jetés à la dérobée par les serveurs qui venaient du dehors apporter nos repas, nous les avaient fait entrevoir. Il est temps que je les note, bien que ce n’ait été qu’à notre retour dans nos foyers que nous les ayons connues dans tout leur développement.

Nous sûmes donc que, dans la première quinzaine de juillet, une arrestation sensationnelle avait eu lieu, qui avait mis la police allemande sur la piste d’un gibier humain dont elle était extrêmement friande : des soldats cachés. Des territoriaux désarmés qui, lors de la reddition de Lille, avaient préféré se cacher comme ils pourraient, plutôt que de subir l’internement dans des camps de concentration, avaient trouvé dans bien des recoins sympathie et assistance. A leur intention une organisation discrète s’était formée, qui recueillait argent, vivres et vêtements. Plus encore, des facilités étaient recherchées en vue de les aider à passer la ligne. Combien d’entre eux y réussirent ? Je l’ignore. Le plus grand nombre, sans tenter cette périlleuse aventure, s’estimaient trop heureux d’échapper, dans nos murs, à la capture allemande. Ces messieurs de la Kommandantur se doutaient bien que plus d’un était encore à Lille de ceux qui leur avaient en octobre 1914 brûlé la politesse. Mais ils s’imaginaient que ce n’était guère qu’une poignée, tant les hommes de la polizei avaient fait bonne chasse. Et voilà que cette police, dont la perspicacité avait obtenu tant d’éloges, se trouvait avoir été jouée avec une audace sans pareille ! Des perquisitions faites chez M. Jacquet, chef de l’organisation de secours aux soldats cachés, il résultait que c’était par centaines qu’il convenait de les compter. M. Jacquet avait des complices directs, dont trois avaient été mis, en même temps que lui, sous les verrous et qui étaient comme lui soumis à une instruction. Mais il y avait ses complices indirects, ses complices occasionnels, sans la coopération de qui une telle multitude de défaillants n’aurait pu se soustraire aux recherches policières. Ces complices-là étaient légion et pour un peu la ville entière y eût été comprise.

C’était donc toute la ville qu’il fallait frapper, et le gouverneur