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actes représentent excellemment ce qu’il y a à la fois de libre et de traditionnel, de résolu et de temporisateur dans l’esprit anglais : la façon même dont il défend les droits des colonies a quelque chose qui rappelle Hampden. — Au contraire, rien ne rattache Lincoln au vieux monde. — C’est un bûcheron qui s’est formé lui-même par l’étude des lois : son parli l’a porté à la Présidence : son élection a été le signal du conflit qui met en péril l’existence de son pays. Il se montre supérieur à toutes les difficultés. Son âme s’élève avec elles : elle dépasse les hommes et les circonstances. Sa cause n’est plus celle de son parti : Lincoln touche le cœur de l’Humanité toute entière. Il y a en lui quelque chose du saint ; il meurt assassiné, et on ne peut approcher la grande mémoire de cet homme si tendre et si fort, sans une sorte de piété.

La guerre terminée, la reconstitution de l’Union s’imposait. Par la victoire du Nord, l’œuvre de Washington était achevée suivant les idées de Hamilton. L’unité fédérale triomphait, et avec elle, le parti républicain ; mais le chef d’œuvre de la politique américaine fut, malgré l’intolérance de certains politiciens, de ne pas se laisser entraîner par la victoire et de maintenir dans l’unité fédérale, les droits particuliers des Etats.

Il fallut du temps pour effacer les derniers vestiges de la guerre civile ; trente ans après qu’elle fut finie, — il semblait que l’heure prévue par Washington, était enfin venue où les États-Unis pourraient choisir entre la paix cl la guerre, suivant leurs intérêts et suivant la justice, et c’est ainsi que, poussés par le sentiment national, ils s’engagèrent à propos de la question de Cuba dans un conflit avec l’Espagne.

Cette décision semblait au premier abord si contraire aux traditions du gouvernement des États-Unis qu’elle surprit beaucoup de monde en Europe.

Je me souviens qu’étant à cette époque ambassadeur à Washington, j’allais voir M. Scherman, alors secrétaire d’État, le jour même où était porté au Sénat le message d’où sortit la déclaration de guerre. Comme je l’entretenais des éventualités qui menaçaient la paix, M. Sherman, qui était de la génération de Lincoln, me lut des dernières pages de ses mémoires. C’était un exposé de l’ancienne doctrine qui donnait les frontières des États-Unis comme bornes à leur action politique.

A l’heure même où j’écoutais M. Sherman, la politique dont