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six mois de prison. En prison aussi, Émilie Zimmerlé, cuisinière dans une auberge de Colmar, pour avoir chanté une musique désagréable aux oreilles allemandes. Jeanne Enderlin, servante, comparaît devant le Conseil de guerre extraordinaire de Colmar, pour avoir chanté la Marseillaise. En prison, Frédéric Fischer, coupable d’avoir chanté, lui aussi, la Marseillaise dans une auberge de Mulhouse. Nous connaissons un jeune ouvrier de dix-neuf ans, Auguste Bugmann, qui osa faire au Conseil de guerre de Colmar, dans l’audience du 5 avril 1916, cette déclaration : « Je tiens mes sentiments français de mon père adoptif, un vieux soldat de Crimée, qui m’a élevé dans un esprit tout à fait français et dans la haine de l’Allemagne. » Un marchand de Strasbourg, Théodore Wagner, originaire de Soultzbach, comparaît devant le Conseil de guerre. Pourquoi ? Se trouvant à Wisches, dans la vallée de la Bruche, le 16 août 1914, il aperçut de loin une patrouille française et fit des signes d’amitié à nos soldats en agitant son mouchoir blanc. Pour ce crime, il est condamné à dix ans de travaux forcés et dix ans de perte de ses droits civils. Faites connaître tous ces faits, je vous prie. En les constatant, on comprendra mieux les tenants et les aboutissants de nos manifestations publiques et de nos fêtes populaires. Le mouchoir blanc du pauvre Wagner, de Strasbourg, a précédé de plusieurs années les innombrables mouchoirs blancs que vous avez vus palpiter aux mains de nos femmes et de nos filles, quand fut signalée au loin, sur la route de Rouffach, l’approche des régiments français. Le voilà, notre plébiscite !

Mardi, 24 décembre.

À table, chez un vieil ami, un « ancien » de l’autre guerre, dont les quatre-vingts ans, bien sonnés, sont rajeunis, ragaillardis par la victoire et par la délivrance. Le déjeuner fut cordial, simple, excellent. L’hospitalité alsacienne est réputée pour la variété copieuse de ses attentions. Sans atteindre tout à fait le degré de succulence dont Erckmann-Chatrian nous entretient avec tant de goût et de saveur dans la délicieuse idylle des Amoureux de Catherine, la chère fut délicate autant qu’abondante, les vins furent généreux. Ce bon repas de famille s’achève dans la douce chaleur d’une salle chauffée par un poêle qui ronfle. On grignote, pour finir, quelques petits