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sans un plein, comme tracée avec une pointe d’aiguille, dans le soubresaut névropathique des doigts et de la pensée. Tandis que je m’appliquais à la déchiffrer, Blaise Marnat rangeait pieusement sur la table le contenu de la mallette, et feuilletait, lui aussi, les notes de son père. Une atmosphère de solennité remplissait pour moi ce vulgaire salon d’hôtel, à cette minute. C’était comme si les fantômes de ceux qui avaient noirci ces pages nous regardaient les lire. Mais voici, copiées telles quelles, les lettres que j’avais, moi, sous les yeux.




Paris, 25 août 1902.

« Ma gentille petite Suze,

« J’ai été bien content d’apprendre ton succès à Royat, dans ces chansons populaires que tu dis si bien. Quand donc t’entendrai-je chanter de nouveau :


Tous les jours je m’y promène
Tir’ ton joli bas de laine,
Tout le long d’la verte Seine.
Tir’ ton, tir’ton joli bas
Tir’ ton joli bas de laine
Car on le verra...


« Et encore :


Pan pan, Margot, au lavoir
Pan pan, à coups de battoir
Va laver son cœur
Tout noir de douleur.


« En transcrivant ces jolis couplets, je les fredonne et je viens te voir, parmi les bravos et les bouquets. J’espère que tu n’es pas trop fatiguée de cette vie d’hôtel, d’express et de veilles, et que tu me rapporteras dans trois semaines une gentille petite Suze, avec des joues pas trop creusées, pas trop pâlies, enfin une Suze pas trop « infanterie anglaise. » Tu te rappelles ? « La « meilleure du monde, disait l’Empereur, mais il y en a trop peu. »

« Tu me dis que tu as profité de ton séjour à Royat, pour monter en voiture à Laschamp, rendre visite au cousin Edouard, le brave et cher homme en qui revit le cœur de