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LE PREMIER NOËL
EN ALSACE DÉLIVRÉE

Colmar, dimanche 22 décembre.

Noël… C’est la première fois, depuis quarante-huit années, — presque un demi-siècle d’oppression, d’inquiétude et de deuil, quarante-huit années de souvenirs, douloureusement ravivés par la guerre, et d’espérances magnifiquement justifiées par la victoire, — c’est la première fois que les cloches des églises d’Alsace, annonçant par de joyeux carillons à tous les Alsaciens de la plaine et des montagnes la fête anniversaire de la nativité du Christ, vont sonner à toute volée le réveil des âmes, enfin délivrées des ombres d’un affreux cauchemar et conviées à s’unir fraternellement dans la lumière d’un rêve idéal qui est devenu la plus radieuse des réalités.

Hier, en passant à Strasbourg, j’ai voulu revoir cette cathédrale, dont la haute flèche domine de sa pointe aiguë tout le pays d’alentour et, jalonnant la ligne de nos frontières naturelles, marque un des plus beaux emplacements qu’aient jamais choisis nos vieux « maîtres d’œuvres » pour y faire triompher en floraisons délicates et puissantes l’art ogival des Français. Elle était toute rose, sous un léger voile de brume hivernale. Les figures de son grand portail, les nervures de ses clochetons et de ses colonnettes, les trèfles de ses fenestrages fleuronnés, tous les symboles de cette bible de pierre dont le déchiffrement total serait la plus instructive, la plus divertissante et la plus émouvante des récréations morales, semblaient flotter dans la blancheur diaphane d’une atmosphère immatérielle où s’atténuait