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fort juste ; sa manière de jouer est noble et remplie de grâce [1]. »

Nous le disions en commençant : à Versailles, les choses ne parlent pas seulement, elles chantent. Autant que le château lui-même, les alentours du château, les terrasses, les jardins, le paysage et jusqu’à l’atmosphère qui le baigne, tout est mélodieux. Une nuit du mois de juin 1779, il y avait fête de nuit dans les bosquets du Petit-Trianon. Soudain la Reine « fut surprise par les sons d’une musique céleste, et suivant les accents d’une mélodie si touchante, elle aperçut, dans une des niches du bosquet, un berger jouant de la flûte : c’était M. le duc de Guines. Plus loin, deux Faunes, Begozzi et Ponte, exécutèrent d’abord un duo de cor et de hautbois, et, réunissant ensuite leurs accords avec ceux de la flûte, formèrent un trio charmant [2]. »

« Charmant » n’est pas trop dire, si le hautbois et le cor étaient dignes de la flûte. Au mois de mai 1778, quatre ans après le concert nocturne de Trianon, Mozart, passant de nouveau par Versailles, écrivait à son père : « Je crois que je vous ai déjà dit dans ma dernière lettre que le duc de Guines, dont la fille est mon élève pour la composition, joue de la flûte d’une manière incomparable, et elle joue admirablement de la harpe. » C’est même alors que Mozart composa, pour les deux instruments et pour les deux virtuoses, un concerto joué l’an dernier, et certainement aussi bien qu’il put l’être jadis, aux concerts Pierné-Chevillard, par Mlle Henriette Renié et M. Moyse.

Alors aussi, pendant les soirs d’été, les jardins de Versailles retentissaient du bruit des instruments. Le sévère Mercy ne manque pas de s’en plaindre à sa souveraine : « Il s’est établi un nouveau genre d’amusement peu convenable, mais qui, heureusement, doit cesser avec la belle saison. Cet objet a été, depuis un mois, de faire établir vers dix heures du soir sur la grande terrasse des jardins de Versailles les bandes de musique de la garde française et suisse. Une foule de monde, sans en excepter le peuple de Versailles, se rendait sur cette terrasse et la famille royale se promenait au milieu de cette cohue, sans suite et presque déguisée [3]. »

Souvent, « sur la grande terrasse, » silencieuse et déserte,

  1. M. de Nolhac, la Reine Marie-Antoinette.
  2. Grimm, cité par M. de Nolhac ; ibid.
  3. Voyez Michel Brenet, la Musique militaire ; H. Laurens.