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gardent son souvenir. Nous avons parlé du salon de Madame Adélaïde. L’autre, également intact, est celui de Marie-Antoinette. Encore plus retiré, presque mystérieux, prenant jour, — et quel jour avare ! — sur une pauvre cour intérieure, il avait été naguère la chambre à coucher du duc de Bourgogne. La musique y est évoquée par un des motifs de la décoration nouvelle : des lyres suspendues à de fines et souples guirlandes. Ici, dans cette chambre étroite et triste, parmi les dorures pâlies, de tendres, et mélancoliques, et tragiques échos flottent encore. Ici la Reine se plaisait à jouer du clavecin, à chanter, de sa voix un peu incertaine, mais douce, les mélodies de Mozart, celles de Grétry, celles de Gluck, son favori, qui plus d’une fois eut l’honneur de l’accompagner. Ici la voix chaude du jeune Steibelt faisait tomber en pâmoison « les belles écouteuses. » Ici l’on applaudit Salieri, et le petit harpiste d’Alvimare, un enfant de sept ans, qui devait être un jour le professeur de Joséphine de Beauharnais et l’auteur de vingt romances applaudies par les mélomanes du premier Empire. Nos romances, « nos vieilles romances, » ou du moins plusieurs d’entre elles, ouvrirent ici « leurs ailes d’or vers leur monde enchanté. » Ici fit ses débuts, tout jeune encore, l’un des plus célèbres chanteurs et « romanciers » de l’école française. Garat. Marie-Antoinette, ayant ouï parler de son talent, souhaita de l’entendre. Avec son père, conseiller au parlement de Bordeaux, il fut invité à Versailles. Il y trouva, dans le salon de musique sans doute, la Reine, les frères du Roi et Salieri, assis au clavecin. « Comment, monsieur Garat, fit la Reine, vous amenez à Paris votre fils, un musicien excellent, un chanteur habile, et vous ne me le présentiez pas ! — Oh ! madame, un écolier seulement, » répondit le père. Et l’adolescent de s’excuser lui-même, assurant qu’il ne sait presque rien en musique, à peine quelques refrains de son pays. « Eh ! bien, voyons d’abord vos chansons gasconnes. » Après en avoir traduit les paroles, il les chanta. — « Mais ne connaissez-vous rien des opéras français ? — Je n’en ai rien appris, madame, mon père ne m’ayant permis de perdre mon temps qu’à l’étude du droit. — Quoi, rien ? — Mon Dieu, madame, je suis allé hier à l’Opéra. J’y ai entendu Armide et peut-être en ai-je retenu quelque chose. — Ah ! voyons. Monsieur Salieri, voulez-vous prendre le volume et accompagner monsieur Garat. » Sans une défaillance de mémoire, le