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ni le théâtre. Partout les récits, les figures du passé vont s’animer et vivre. Les idées se feront images. Après les livres, et mieux encore, voici que les choses, que les lieux parlent, que même ils chantent. On écoute alors autant qu’on regarde. Aux visions, aux reflets, se mêlent des échos, et l’on croit entendre les sons, — il en est d’immortels, — que l’air de Versailles, l’air qu’ici l’on respire, a formés.


Des trois rois de France qui, pendant un peu plus d’un siècle, firent de ce château le siège et comme l’emblème de la royauté, le premier et le plus grand fut seul un roi musicien. On a dit avec raison de Louis XIV qu’ « on ne saurait toucher par aucun côté l’histoire de la musique française sous son règne, sans apercevoir la trace de sa volonté souveraine [1]. » S’il ne chantait pas comme son père, s’il ne jouait d’aucun instrument, il dansait. Pour lui, selon lui, fut créée notre tragédie lyrique. Sous son influence et comme par son ordre, pour flatter son goût de la magnificence, la musique d’église imita la musique de théâtre et les motets de la chapelle royale ressemblèrent à des morceaux d’opéra. La fortune d’un Lulli témoigne avec assez d’éclat de la prédilection du Roi pour les musiciens. Un du Mont, un Robert, un de La Lande, jouirent également de l’estime et de l’amitié royale. D’après une notice anonyme, il se peut que Louis XIV ait non seulement encouragé, mais dirigé les débuts de La Lande, en examinant « plusieurs fois le jour » les « petites musiques françaises » qu’il lui fit d’abord écrire et « retoucher » jusqu’à parfaite satisfaction.

Les « petites musiques » n’auraient pas été, si l’on en croit La Fontaine, celles que préférait le Grand Roi :


Grand en tout, il veut mettre en tout de la grandeur ;
La guerre fait sa joie et sa plus forte ardeur ;
Ses divertissements ressentent tous la guerre ;
Ses concerts d’instruments ont le bruit du tonnerre,
Et ses concerts de voix ressemblent aux éclats
Qu’en un jour de combat font les cris des soldats [2].


Mais il se plaisait également à de moins bruyants et plus paisibles concerts. Parmi les virtuoses étrangers qu’il écoutait

  1. Michel Brenet, les Concerts en France sous l’ancien régime (Fischbacher).
  2. Epitre à M. de Niert sur l’Opéra.