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Ils rendent leurs cites, livrent leurs citadelles,
Avant même que l’ombre en éveil autour d’elles
Entende nos chevaux de grand-garde hennir ;
Mais, l’oreille tendue, ils écoutent venir,
Baignés de la sueur des rouges insomnies,
L’esclave ivre qui traîne aux crocs des gémonies
Son empereur déchu qui n’est plus qu’un rôdeur.

Là-bas, dans le palais qui mêle avec l’odeur
Formidable du fauve acculé dans sa bauge,
Les senteurs de l’orgie et les relents de l’auge,
La Révolte a hissé, sur son pavois mouvant,
De pâles dictateurs qui parlent dans le vent.

Ces plébéiens, jaloux de leur liberté neuve.
Iront-ils relever l’Impériale Veuve,
L’épée étincelante et nue au grand soleil ?
Se rappelleront-ils la France, un jour pareil,
Mais sans soldats, mais sans armes, mais envahie,
Indomptable, exigeant de sa force trahie
Et l’impossible lutte et l’impossible espoir ?

Non ! ils détourneront les yeux, pour ne rien voir.

Non ! et s’il est encor chez eux quelqu’un qui sache
Ce que c’est que l’honneur d’un peuple, et quelle tache
Reste au front du vaincu dont a ployé le cou,
Qui rendit son épée et passa sous le joug,

Pour tant de lâchetés qui suivent tant de crimes,
Ce vaillant sentira, triste jusqu’à mourir,
Que la postérité de Cain va souffrir
Soixante-dix-sept fois cela que nous souffrîmes.


Sébastien-Charles LECONTE.