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frontière du Bug et en demandant seulement que, dans les gouvernements ukrainiens voisins de ses frontières, les droits de la minorité polonaise soient respectés. Il n’en est pas de même au Nord de Brest-Litovsk. Là, les Polonais habitent en masse la région de Bielostock et s’avancent jusqu’au delà de Grodno, Suwalki, Wilno (Vilna). Dans cette dernière ville, la population est répartie en quatre groupes à peu près égaux : Polonais, Lithuaniens, Blancs-Russes, Juifs. Les Blancs-Russes, dans cette région, sont très polonisés, et c’est surtout contre les prétentions lithuaniennes que les Polonais ont à défendre, à Wilno, leurs revendications nationales et historiques.

Le peuple lithuanien n’est ni slave ni germain ; il parle une langue indo-européenne dont la parenté avec le sanscrit fait la joie des philologues. Ses plus proches parents en Europe sont ses voisins du Nord, les Lettons, qui, sans doute, auraient fini par ne former avec lui qu’un seul peuple si les hasards de l’histoire ne les avaient dissociés et éloignés l’un de l’autre. La Lithuanie, catholique, a été associée à la Pologne quand la dynastie lithuanienne des Jagellons monta sur le trône de Pologne. Le « cavalier » du blason lithuanien entra dans les armes polonaises ; l’évolution historique des deux peuples fut commune jusqu’au troisième partage de la Pologne où la Lithuanie fut annexée par les Russes. Les Lettons, au contraire, devenus en majorité luthériens, ont évolué avec les autres Etats baltiques sous l’influence de la Russie et de la culture allemande apportée par les barons baltes.

Polonais et Lithuaniens ont en commun un grand souvenir historique : en 1410, leurs armées ont écrasé à la bataille de Grünewald les forces des chevaliers teutoniques, champions et pionniers du germanisme ; ce jour-là, ils ont sauvé la civilisation polonaise d’une absorption dans la Grande Allemagne, et arrêté net le Drang nach Osten. Entre les deux peuples polonais et lithuanien, il subsiste de profondes affinités psychologiques et historiques ; les dissentiments sont superficiels et factices, et la communauté des intérêts et des périls ne tarderait pas à les atténuer. Les souvenirs de 1863, où l’insurrection contre la Russie fut aussi violente chez les Lithuano-Polonais que dans le Duché de Varsovie, ne sont pas si lointains qu’ils ne puissent être ravivés. Au moment de la catastrophe du Tsarisme et de la dislocation de l’Empire, les Lithuaniens posèrent leurs revendications