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autour de l’Allemagne, une série de petites nations, sans liens les unes avec les autres, parmi lesquelles l’esprit de conquête et de domination, qui n’est pas mort dans la race germanique, trouverait un terrain tout préparé pour ses intrigues politiques et ses manœuvres d’impérialisme économique. La politique allemande a toujours été habile à susciter les jalousies, à exciter les rivalités, à exploiter les divisions ; les Alliés au contraire ont intérêt à préparer des réconciliations, à promouvoir des ententes, à lier en faisceaux solides les petits États isolés. Cette œuvre de reconstruction de l’Europe en fonction du péril allemand s’impose aux Puissances qui ont combattu et vaincu, dans la plus terrible des guerres, pour le droit des peuples ; il leur faut maintenant assurer aux nations libérées par leur sang une sécurité durable et organiser leur collaboration au salut commun par la consolidation de la paix. Si les Alliés, par inertie ou pusillanimité d’esprit, n’osaient pas entreprendre et ne savaient pas mener à bien ce travail d’architecture politique et sociale, ils perdraient le fruit de leurs souffrances et de leurs victoires.

Nous voudrions esquisser ici quelques-unes des grandes lignes de cette reconstruction qui, après les effroyables bouleversements de la guerre, va donner à l’Europe la physionomie nouvelle qu’elle gardera sans doute pendant des siècles. Puissions-nous contribuer à éviter ces erreurs irréparables qui, dans la fondation de l’édifice, en vicient radicalement toute l’économie, en compromettent la solidité et menacent la sécurité des hommes qu’il doit abriter ! Nous jetterons, sans entrer dans les détails et en évitant les discussions, un coup d’œil d’ensemble sur l’Europe orientale.


I

L’Europe orientale, de la Vistule à l’Oural, et de l’Océan glacial au Caucase, est une immense plaine, sans relief, sans montagnes et sans pierres, où la séparation des terres et des eaux semble inachevée : pays de marais, de forêts humides, de riches terreaux noirs ; pays sans os, invertébré : c’est l’ancien Empire des Tsars. Le paysan aime la terre, mais comme il trouve, dans toute l’étendue, de la Russie prolongée par la Sibérie, le même sol, il n’est pas, comme chez nous, attaché