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O Trimâzo ! c’est le mai, joli mai,
C’est le joli mois de mai.
En revenant à travers champs,
Nous avons vu les blés si grands,
Les aubépines verdissant,
O Trimâzo !


La voix montait pure et si ample qu’elle paraissait atteindre le ciel balayé par les souffles frais du soir.

M. Bourotte se traîna jusqu’aux saules et il aperçut une jeune fille qui fanait du foin dans la prairie. Elle pouvait avoir dix-sept ans. De son visage dissimule dans l’ombre d’une coiffe blanche, qu’on appelle au pays lorrain une balette, il n’apercevait que deux yeux lumineux, un nez fin, un petit menton volontaire. Elle secouait les herbes odorantes avec une agilité joyeuse. Elle rappelait étrangement à M. Bourotte les bergeronnettes qui sautillent sur les galets de la rivière.

Tout à coup un vieux texte se prit à revivre dans sa mémoire érudite, et il entendit une voix qui murmurait des paroles immortelles : « Or, le héros délibéra s’il implorerait la vierge en embrassant ses genoux, ou si de loin il la supplierait doucement de lui montrer la ville. Ce dernier parti lui sembla préférable. Aussitôt il prononça des paroles artificieuses : « O Reine ! je t’implore. Es-tu une déesse ou une mortelle ? Si tu es une des divinités qui habitent le vaste Olympe, à ta beauté, à ta taille, je te compare à Diane, la fille du grand Zeus. Si tu es une des mortelles qui habitent la terre, trois fois heureux ton père et la mère vénérables, trois fois heureux tes frères. Certes leur cœur bondit de joie à cause de toi, quand ils voient un tel rejeton entrer dans le chœur des danses. »

À mesure que M. Bourotte se rappelait les vers du poème antique, il apercevait mieux la ressemblance qui rapprochait sa situation du sort d’Odusseus, jeté par la tempête sur le rivage des Phéaciens ; suppliant comme lui, il devait tendre les mains vers la vierge inconnue. Mais le temps n’était plus où les Dieux descendaient sur la terre pour se mêler aux mortels ; il convenait d’interpeller la jeune fille avec moins de solennité :

— Hé, mademoiselle, fit-il, mademoiselle !

Elle leva la tête, interdite et l’ayant aperçu, marcha résolument sur lui. Elle enleva sa coiffe : il vit des yeux bleus, étonnamment purs, un front lisse que bordaient des bandeaux