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instant, il rencontrait des vignerons qui pliaient sous le poids des lourds tendelins. Il avait plaisir à échanger avec eux au passage un salut allègre. Des filles, courbées dans l’épaisseur des échalas, coupaient le raisin en chantant des rondes joyeuses. De petits ânes, attachés aux roues des charrettes, poussaient des braiments sonores qui étaient une musique de fête.

Au bout d’un sentier, M. Bourotte avisa un grand gaillard qui dansait dans une cuve en foulant le raisin. Des pulpes écrasées étaient collées à sa peau. La gesticulation du paysan avait la beauté d’une danse antique.

— Hé l’ami ! fit le professeur, on a du cœur à l’ouvrage cette fois.

— Vous avez raison. Je ne donnerais pas ma place pour un empire.

Et il reprit sa danse, pareil à ces satyres que M. Bourotte avait vus vendanger les vignes de Lemnos, dans les reproductions de canthares et de vases grecs.

lie professeur se remit en marche. Le soleil tombait d’aplomb sur sa tête. Les fumées du vin blanc lui montèrent au cerveau, si bien qu’en proie à l’enthousiasme il s’écria :

— Simplicité digne de l’âge d’or, jours trois fois heureux où des fontaines de miel coulaient du tronc des yeuses, il me semble que je suis transporté au temps du roi Kronos, au temps où les Athéniens attachaient leurs cheveux avec des cigales d’or. En vain l’homme a cru renouveler le monde et changer la face de la terre, en vain il a découvert les secrets de la matière et commandé aux forces qui régissent l’univers : il n’a pu changer les humbles gestes qui donnent à l’humanité le blé et le vin.

— Il me plaît de contempler ces aspects de la vie rustique, car derrière ces paysans, mon imagination évoque leurs ancêtres, sculptés sur les sarcophages ou peints sur l’atrium des maisons latines. Je revis les jours des grandes Lénéennes, alors que l’ivresse du vin nouveau embrumait les yeux clairs d’Athéna et que des hommes, barbouillés de lie, montés sur des chariots et faisant assaut d’injures, inventaient la comédie. Je revis les vendanges du Latium, alors que le fermier scellait de poix les amphores et les marquait du nom d’un consul.

Tout en prononçant ces paroles, M. Bourotte était arrivé à la lisière du bois, il s’engagea dans une sente couverte de