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La minceur de son corps lui donnait, à quarante ans passés, une allure toute jeune, presque fragile. On devinait le surmenage physique et moral d’un travail trop dur pour un organisme déjà souffreteux, d’un métier plutôt subi qu’accepté par une femme grandie dans un autre milieu et qui en conservait l’empreinte. Sa mise modeste en témoignait, et un je ne sais quoi de volontairement effacé, de comme il faut. Mais n’était-ce pas une toilette de combat, méditée en vue de désarmer l’hostilité de Blaise ? Comment le savoir ? Pourquoi parut-elle plutôt soulagée quand celui-ci, m’ayant nommé à elle, ajouta :

— J’ai tenu, madame, à ce que mon ami, qui fut un des plus chers élèves de mon père, assistât à l’entretien que vous m’avez demandé ?...

— Je n’y vois aucun inconvénient, répondit-elle, au contraire. Mon mari m’a souvent parlé de monsieur... — Elle m’avait regardé, avec une imploration dans les yeux. Laquelle ? Et, se retournant du côté de Blaise, elle dit d’une voix réfléchie et grave : — Ma visite, ici, a deux buts. Le premier, monsieur, est de vous remettre des papiers et des livres qui ont appartenu à M. Jules Marnat. Mon mari, en se les attribuant, a obéi à un sentiment passionné, que je n’ai pas à juger. En mon âme et conscience, j’estime qu’étant le chef de la famille, ces papiers et ces livres vous appartiennent de droit. Ils sont en bas, dans une valise que j’ai déposée au bureau de l’hôtel, pour vous.

La simplicité de ces paroles, et le ton pour les prononcer, contrastaient d’une façon trop extraordinaire, non plus seulement avec la profession de la chanteuse, mais avec l’aventure de son mariage. Ou bien elle jouait la comédie à la ville mieux qu’à la scène, ou bien elle n’était pas simplement, comme le croyait le mépris de Blaise, la fille galante qui s’est fait épouser. Qu’en pensait-il lui-même ? Impossible de le déchiffrer sur son masque, toujours immobile et grave.

— En effet, madame, répondit-il, ces papiers et ces livres m’appartiennent.

Pas un mot de plus. Nulle marque d’étonnement ni de gratitude. Nulle demande d’une explication plus précise. Mais sèchement :

— Passons au second but de votre visite, ajouta-t-il.

— Le second but de ma visite, répliqua-t-elle, c’est de