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Il les admirait davantage, quand ils étendaient dans les brouillards de novembre leurs rameaux fins et dépouilles. Ils avaient l’air de dormir ; il n’en était rien : ils méditaient, ils préparaient lentement la résurrection des bourgeons et des nouvelles pousses. Ils avertissaient le sage de croire aux puissances inépuisables de renouvellement qui sommeillent dans la nature. Leur vie était une leçon souveraine d’ordre, d’harmonie, de beauté. Ils donnaient à l’artiste le conseil de préparer une œuvre forte dans le silence et dans le recueillement.

Ayant remué toutes ces pensées, M. Bourotte regagnait son logis. Il y retrouvait ses livres, « ses bons hôtes muets » dont la conversation ne le lassait jamais. Il ne désirait pas la gloire, car il avait reconnu qu’elle était vaine, et qu’elle était achetée ordinairement par toutes sortes de calculs, qui en diminuent le prix. Il prenait en pitié les misérables hommes, qui travaillent sans trêve pour acquérir les honneurs ou l’argent et consument leurs jours périssables en une agitation stérile. Il n’était jamais plus sûr de posséder la sagesse, que lorsqu’il marchait sous les ogives ajourées du cloitre de Saint-Gengoult. Des dalles, usées sous les pas des générations, s’efforçaient de commémorer les noms, les titres, les qualités des bourgeois de la petite ville, qui avaient tenté vainement d’arracher leur souvenir à l’oubli. La giroflée sauvage descellait la pierre des tombes. Une mélancolie hautaine emplissait l’âme de M. Bourotte et l’inclinait au renoncement.

Souvent aussi, quand la saison était belle, ayant glissé dans sa poche son Théocrite, il traversait les jardins de Saint-Epvre, et, par un sentier qui courait au milieu des vignes, il gravissait la côte Saint-Michel et gagnait un vieux verger. Les cerisiers pleuraient par les cicatrices de leur écorce des gommes qui semblaient des gouttes d’ambre. Les mirabelliers ployaient sous le poids des fruits. Alors il s’asseyait, et, se croyant revenu au temps des Thalysies, il évoquait autour de lui l’automne opulent qui mûrit la grappe sur les monts siciliens, il croyait entendre la tourterelle gémissant dans les peupliers et le murmure des abeilles voltigeant autour des fontaines.


Comme il était plongé dans sa rêverie, un bruit le fit tressaillir et le rappela à la réalité.