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à gauche, nos anciennes casernes de l’artillerie et du génie, hautes bâtisses de style militaire ; à droite, la masse imposante et sévère du Palais de Justice : tout un ensemble de force ramassée, d’élégance disciplinée et un peu rigide, qui convient à une ville frontière et qui a laissé sa marque sur le caractère messin…

Malgré l’impatience de la foule qui afflue sans cesse sur les trottoirs, qui assiège les estrades, tout se passe dans un bel ordre. Les troupes massées sur les trois autres côtés de la place sont au port d’armes. Leur tenue est exemplaire. Elles se sentent surveillées par des yeux jaloux. Les Messins qui les considèrent se disent leur admiration. Ce prestige assurément exagéré qui environnait autrefois les troupes allemandes, qui prêtait un lustre singulier à leurs uniformes et qui était si douloureux à voir pour nous autres Lorrains, — cette splendeur victorieuse, elle est sur nos soldats, elle illumine les cimiers des casques, elle redresse la taille du plus petit fantassin et elle met comme un reflet d’azur sur les plus ternes capotes. Ils en sont frappés autant que nous, les rares Allemands qui ont réussi à se faufiler, on ne sait comment, dans cette enceinte officielle. J’ai derrière moi un enfant boche, renfrogné, silencieux et têtu, qui s’est agrippé à un poteau de l’estrade et qui, continuellement, dans son effort enragé pour se maintenir accroché et pour voir la gloire française, de ses pieds et de ses mains bourre les flancs et les dos des spectateurs les plus proches. On a beau le rabrouer, le bousculer, et, comme nous disons ici, le « gùgner » à coups de canne et de parapluie, il reste cramponné à son poteau, inextirpable et muet, tel l’esclave attaché aux pas du triomphateur antique…

Mais le terre-plein s’anime de plus en plus. À tout instant, des estafettes le traversent, des officiers d’État-major viennent se ranger au pied de la tribune. Et puis, ce sont les grands chefs, les illustrations de la guerre, qui font leur entrée : le maréchal Joffre, en culotte rouge et haut képi galonné, le général Mangin, le général Gouraud. Dès qu’on les reconnaît, des acclamations s’élèvent, des applaudissements éclatent. Chacun a son ovation. Parmi les chapeaux melons et les pardessus bourgeois des députés qui viennent prendre place, la soutane et la coiffure ecclésiastique de l’abbé Lemire font une silhouette inattendue : nos Messins se signalent le populaire