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cendent d’automobiles », qui vont et viennent en un défilé ininterrompu, des plantons et des gendarmes s’activent. Des équipes de poilus traînent de lourdes caisses, étendent des tapis, clouent des tentures, transportent des meubles ; d’autres, armés de balais, poussent au ruisseau des paperasses allemandes, que les services de nettoiement vont enlever tout à l’heure : la France emménage, l’armée française donne le premier coup de torchon au vieux logis retrouvé… Est-ce possible ? Comment croire à ce retour si soudain ?… Pourtant, là-bas, près du parapet de l’Esplanade, la statue équestre du vieux Guillaume gît, les quatre fers en l’air. Et ce sont des paroles françaises qui emplissent les cornets acoustiques du téléphone continuellement en branle. Les officiers qui entrent, qui se groupent au hasard des rencontres, sont non seulement des Français, mais de vieux Messins. Tout d’un coup, on reprend ses habitudes, on retrouve les intonations d’autrefois, l’accent, les locutions du pays. Le général de Maud’huy, qui vient d’apparaître, très jeune d’allure, très svelte et très élégant dans sa capote bleue serrée à la taille, devine en moi le Messin, à la façon dont je prononce Metz :

— Bravo ! me dit-il, gardons notre vieille prononciation. Il y a Mett’z pour les Allemands, Mèse pour les Français, et Méss pour les Messins !

Et, avec le colonel Valentin, autre enfant de Metz, nous parlons du maréchal Foch qui est un Messin d’adoption :

— Vous savez ? dit quelqu’un : il est allé au collège Saint-Clément revoir sa place, chercher son pupitre d’écolier !…

Des anecdotes se racontent, les souvenirs affluent, — interminables, comme entre gens d’une même famille, qui se réunissent après des années d’absence… Mais subitement, on annonce le maréchal Pétain… Un maréchal de France ! À Metz ! Et un maréchal victorieux ! C’est tout notre long espoir enfin réalisé ? Et cette chose, que tant des miens, depuis longtemps refroidis dans la tombe, ont vainement espérée, — moi, je vais la voir !… Si simple sous son grand manteau tout uni qu’on le confondrait avec n’importe lequel de ses officiers d’ordonnance, sans cet air de commandement, ce regard de chef et ce que Flaubert appelle « l’indéfinissable splendeur de ceux qui sont destinés aux grandes entreprises, » il passe, serrant des mains, ayant pour chacun les mots qu’il faut, et, du surplus de sa gloire,