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suffisantes pour leur donner la protection dont ils ont besoin. »

Un continental seul pouvait démêler les faits avec cette lucidité. À ces deux partis, en lutte depuis 1792, les événements avaient apporté des recrues d’ordres divers ; ici, revenants du service anglais, ou du service espagnol ; réfugiés de Sardaigne, colorant leur absence de prétextes politiques ; là, officiers à demi-solde de l’armée française, officiers congédiés de l’armée napolitaine et de l’armée italienne. C’étaient des éléments tout disposés à l’agitation et prêts pour la guerre civile.

Que Murat eût simplement l’idée d’échapper momentanément à ses persécuteurs, d’attendre que les Puissances alliées eussent décidé de son sort, ou qu’il voulût prendre en Corse un point d’appui pour une résistance armée, un point de départ pour une expédition sur ses anciens États, tout le conviait au départ. Mais il était loin des rêves qu’il avait formés, de la frégate que Brune et Duperré devaient lui fournir, même du trois-mâts qu’il avait nolisé et qui, en rade de Toulon, ne l’avait pas attendu. Les courtisans de sa mauvaise fortune ne disposaient que d’une méchante barque non pontée, tout récemment construite à la Seyne, qu’avait procurée un Corse, le capitaine de frégate Oletta, ami de Blancard.

Le 23, le péril devenant de plus en plus pressant, sans attendre Bonafous, qui n’avait pu rejoindre, Donnadieu, Anglade et Blancard s’aventurèrent avec le Roi sur ce petit bateau. Ils étaient convenus avec Bonelli, le patron du bateau de correspondance, qu’il les recueillerait en mer, à une heure et à un lieu donnés. Par suite d’une question de passeports, le bateau-poste ne fit voile que très tard. Ignorant la cause de ce retard, Murat et ses compagnons quittèrent par prudence l’entrée de la rade ; ils essayèrent, dit-on, de se faire recueillir par un bâtiment chargé de vin, à destination de Toulon, dont ils parvinrent à approcher le 24, et auquel ils proposèrent de les mener à Bastia. « Mais le patron, ne se souciant point de se laisser aborder par quatre hommes armés, et de mauvaise mine, » faillit, en réponse, passer sur leur barque et la couler. Vers sept heures du matin[1], « le vent étant plus que bon frais, » ils étaient en perdition à treize lieues environ de l’ile d’Hyères, lorsqu’ils aperçurent le bateau de correspondance. Ils s’approchèrent,

  1. Oletta. (Lettre à Franceschini, Supplément), dit : cinq heures.