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l’Isle avait agi sans ordres, s’était mêlé de ce qui ne le regardait pas ; de quel droit, sous quel prétexte prenait-il la qualité d’ambassadeur ? De telles négociations n’étaient aucunement « de sa profession ; » d’ailleurs, « les conditions de ce traité sont si désavantageuses et ridicules qu’il n’est pas possible de croire qu’elles eussent été acceptées par ceux mêmes qui n’auraient pas d’affection pour la France. » Infortuné Melchior ! Si les érudits allemands l’accusent maintenant d’avoir trahi les intérêts de l’Allemagne, Richelieu l’accusait à peu près d’avoir trahi les intérêts de la France. Bref, la France n’a tellement pas organisé une machination qui la rendit maîtresse de l’Alsace que l’Alsace vient spontanément à elle, et elle la refuse.

Pourquoi Richelieu refuse-t-il cette Alsace ? Le moment approche, et Richelieu n’en doute pas, où la France devra entrer dans la grande guerre : la convention que Melchior de l’Isle lui propose l’obligerait à maintenir en Alsace des garnisons qui seraient bien utiles ailleurs, et l’obligerait à de grosses dépenses utiles ailleurs. Et quel profit ? La couronne de France n’avait jamais revendiqué nuls droits sur les villes d’Alsace. Et, les villes d’Alsace, était-ce la nécessité qui les lui donnait ou leur amitié pour le roi de France ? Richelieu, de prime abord, n’en savait rien.

L’Alsace fut consternée de la réponse que Melchior de l’Isle eut à lui communiquer. Les Impériaux approchaient et, possiblement, n’ignoraient pas les sentiments de l’Alsace à leur égard. Jean de Werth se préparait à marcher sur Colmar. La ville résolut d’envoyer à Paris le syndic Mogg. En attendant, le maréchal de la Force, sur la prière du syndic, décida de sauver Colmar, où le régiment de Normandie, commandé par M . de Manicamp, fit son entrée le 25 avril 1635.

Mogg, à Paris, ne fut pas accueilli avec empressement comme un homme qui va nous mettre une province dans la main. Le 23 mai, Louis XIII lui donna de bonnes paroles. Le 25 mai, Richelieu lui raconta que Melchior de l’Isle était un étourneau, que des questions si importantes ne se tranchaient pas vite et que le conseil examinerait avec bienveillance le désir de l’Alsace. Le lendemain, Servien, secrétaire d’État, disait à Mogg : « Vos affaires vont bien. » Ou assez bien ; mais lentement. Ce ne fut qu’au mois de juillet que Mogg apprit que Richelieu se prêtait à l’idée d’une convention : le traité de Rueil, établi le l*" août, contresigné le 3, ne changeait pas grand’chose à l’arrangement conclu, l’automne précédent, par Melchior de l’Isle. Manicamp, nommé gouverneur de la Haute-Alsace, reçut les remerciements de la population.