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ont le soin de garnir, sous nos yeux, le magasin de leurs fusils. Ainsi nous font-ils comprendre leur résolution de tirer sur celui qui tenterait de franchir la clôture des fils barbelés. »


Les « otages » sont placés sous la garde d’une vingtaine de soldats de landsturm commandés par un sous-officier. Celui-ci, un Poméranien hargneux, pointilleux, vrai chien de quartier, rumine sans cesse de nouvelles humiliations, de nouvelles souffrances à infliger aux captifs : « N’entendant pas un mot de français, il proférait ses commandements et ses injures en des cris rauques que nous traduisaient ceux de nos camarades qui connaissaient l’allemand. » Dès le lendemain, pour faire acte d’autorité vis-à-vis des otages, il leur ordonne de se charger de tous leurs bagages, de leur paillasse ; il les fait sortir des bâtiments et les laisse, à la neige et au vent, plusieurs heures, par un froid de dix degrés.

« Tandis que nous sommes ainsi à nous morfondre, un traîneau arrive. Un gros officier, un commandant, pensons-nous, sort d’un amas de fourrures et descend. Il nous examine narquois et, sur notre groupe, braque un appareil photographique. Quelques-uns d’entre nous s’approchent pour protester et déclarer qu’il est abominable d’oser nous camper comme on le fait. Le gros officier réplique :

— Vous vous étonnez de n’être pas mieux traités ; mais vous n’êtes pas seulement des prisonniers, vous êtes des otages de représailles retenus pour trois causes : primo, pour le mauvais traitement infligé par la France aux Alsaciens-Lorrains ; secundo, pour le manque de parole du gouvernement français dans l’échange des officiers mutilés ; tertio, pour le traitement indigne que subissent les officiers allemands prisonniers en France... Quand M. Poincaré le voudra, conclut-il en ricanant, vous serez remis en liberté. Ecrivez cela à votre gouvernement.

« Il reprend quelques instantanés, remonte en traîneau, disparait sur la route de Wilna... »

Rien n’est modifié dans l’installation des captifs. Leurs claies sont si étroites qu’ils ne peuvent s’y retourner ; elles se touchent de si près que, « littéralement, nous sommes bouche à bouche. » Pour atteindre à celles des étages supérieurs, il