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d’une organisation capable d’assurer le succès : des tenants et aboutissants dans toute la société, la religion, les femmes, les éléments d’une immense et muette conspiration, tous les élèves de leurs collèges, qui étaient les propagateurs, et les colporteurs tout trouvés de la gazette prohibée. Cette merveille de mécanique serait inexplicable sans le génie de la Compagnie. Rien ne se fait sans une organisation : celle des Pères battit l’organisation allemande.

Tout cela, faut-il le dire ? dans une atmosphère de menaces et de perquisitions, de soupçons, d’enquêtes, de « terreur, » qui rappelle invinciblement ce que nous savons de l’époque révolutionnaire. A Paris aussi, en ce temps-là, les théâtres jouaient, la vie allait son train. Les bonnes femmes se plaignaient du prix des choses au marché, et la guillotine fonctionnait sur la place de la Nation. Il y avait mille indifférents pour qui la vie n’était que la vie ordinaire, et quelques braves pour qui elle était dangereuse. C’est ce qui s’est passé à Bruxelles : rien ne donne mieux l’idée des dessous dramatiques, de la couleur exacte de notre Révolution. Quels types d’aventuriers, dignes d’un Cadoudal et de ses acolytes I Quelles ressources de calcul, d’audace, d’imagination chez l’entrepreneur, le gérant de la Libre, ce Figaro de l’indépendance, le charmant Eugène van Doren ! Son évasion, sa fuite par les toits, son existence de deux ans au fond d’une mansarde à Bruxelles, tandis que les Fouchés allemands étaient à ses trousses en Hollande, feraient le sujet du film le plus divertissant. Et enfin, à côté du vaudeville et de la gaminerie, il y a le drame, les flaques de sang : il y a les fusillades, les croix sans nom du champ de tir, les martyrs de la liberté, — les Philippe Baucq, les Miss Cavell, si grands devant la mort qu’on a vu leurs bourreaux sangloter et tomber à genoux devant eux.

Voilà ce qu’il faudra écrire à l’honneur du clergé et du peuple de Belgique. Peuple incompréhensible ! s’écriait von Bissing, ingouvernable, écrit Michelet : « mauvaises têtes, » disent-ils eux-mêmes, « incorrigibles, » et ils s’en vantent. Les Allemands s’étaient flattés d’en venir à bout. Ils promettaient à la Belgique un roi de leur façon : quel honneur pour ces petits Belges d’avoir pour maitre un prince impérial ! « Monsieur, repartait l’un d’eux là-dessus, je lui souhaite bien du plaisir. Personne n’a jamais rien su faire de nous. De plus forts que