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réformes indispensables, suffrage universel, collaboration des classes, commissions d’ouvriers et de patrons pour l’étude des problèmes sociaux, industriels... Il est très « à gauche, » ce discours, il oriente nettement la politique vers les masses, dans le sens d’une démocratie généreuse. C’est un acte de gouvernement, presque une charte d’alliance avec le monde du travail.

Tous les articles, hormis un seul (celui qui concerne les langues et les droits du flamand), sont écoutés debout, applaudis frénétiquement par toute l’assemblée. Un étranger doit observer la discrétion en ces matières. Mais comment se défendre d’admirer ? On admire d’abord la conscience, l’accent de l’honnête homme. D’autres ont bien tenté de se grimer en démocrates. L’homme qui parle est le même qui, à cette place, il y a quatre ans, n’a pas hésité à tout perdre. J’admire surtout quelque chose qui vient de plus loin que la personne, le jeu d’une loi naturelle, comme une ombre portée ou un écho d’histoire. On entend dans le vivant la voix des « morts qui parlent. » Ah ! la race n’est pas un vain mot ! Cette intelligence, ce respect de l’âme populaire, nous connaissons cela. Et derrière la figure de l’homme, j’entrevois la lignée de ces bons ouvriers français dont il descend : c’est un Orléans, c’est un « bleu, » ce jeune Roi, comme son aïeul qui fut général à Jemmapes, qui s’en alla (avant le prince Albert) étudier le monde moderne en Amérique et qui fut en 1830 le roi de La Fayette.

Le soir appartient à la foule. Après le manifeste du Parlement, le Roi doit descendre, vers cinq heures, en visite à l’Hôtel de Ville. Troisième acte de la journée, qui n’a pas l’importance politique du second, mais qui l’emporte de beaucoup pour le pittoresque et la couleur. Tout le monde connaît cette place de Bruxelles, ce monument unique ou plutôt cet ensemble de monuments qui n’a pas son pareil au monde. Non qu’il n’y ait pas ailleurs des places plus régulières ou architecturalement plus belles : mais ni la place Saint-Pierre à Rome, ni celle de Saint-Marc à Venise, ni celle de la Concorde, avec leurs colonnades, leurs palais, leurs portiques, n’offrent cette plénitude de sens, cette valeur et cet ordre propres de la création collective. Ces hôtels des métiers, des gildes, des marchands, avec leurs enseignes de corps et leurs luxes rivaux, tous groupés au pied de l’exquise flèche de la maison de ville, qui leur donne l’expression commune, la flamme, le jet, l’élan, c’est tout le