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LES JOYEUSES ENTRÉES
EN BELGIQUE


I. — LA FORÊT DÉSENCHANTÉE

29 septembre. — La forêt d’Houthulst prise hier, débordée, emportée en trois heures par les Belges ! Qui l’eût cru il y a huit jours ? Qui l’eût cru depuis quatre ans que nous demeurions là impuissants devant elle, quatre ans qu’elle s’emplissait, se boudait tous les jours de troupes et de canons, comme une monstrueuse citadelle vivante ?

Forêt d’Houthulst ! Eternelle alliance des Germains et des bois ! C’est de là que sortirent les grandes fureurs contre Ypres, que se prépara traîtreusement le guet-apens des gaz. J’ai voulu revoir cette vieille connaissance, regarder la bête abattue, sa fourrure étalée à terre.

Il pleut. La drache des Flandres fond sur ce paysage de désolation, sur ces infinis marécages. Des kilomètres de convois, d’enchevêtrement inextricable, ces lieues de train et de matériel qui suivent les offensives, et puis le vide, l’espace béant, la solitude déshabitée de l’ancien champ de bataille où règne seule la grisaille de la bourrasque d’automne.

Impression étrange d’être là tout à coup absolument seul sur cette terre prodigieuse de néant, d’abandon, sur cette immense terre à personne. C’est le territoire interdit où, il y a deux jours, nul n’eût osé s’aventurer sous peine de la vie. C’est là que les offensives passées venaient sombrer, mourir dans les hideuses fondrières, dans la glu du champ d’entonnoirs. Maintenant,