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nombreux offre, d’ailleurs, des inconvénients indéniables, dont notre législation devra tenir compte, mais sur lesquels nous sommes obligés de passer. Si l’étranger se borne à un court séjour dans notre pays, il y draine des bénéfices qui traversent aussitôt la frontière. S’il s’y fixe, il risque, ou d’altérer notre tempérament national, ou de perpétuer des groupes distincts, comme cela se produit, même aux Etats-Unis, pour les Irlandais. Les connaissances techniques que nous lui fournissons représentent toujours la possibilité d’une concurrence étrangère future. Enfin, l’étranger est susceptible de faire pis et de se livrer à l’espionnage. Quand bien même on exagérerait les soupçons dans ce sens, ces soupçons suffisent à eux seuls pour entretenir une atmosphère fâcheuse d’animosité. Cette dernière observation vise surtout la population demi-libérale, qui pullulait en France avant la guerre dans les hôtels, restaurants, maisons d’affaires ou de banques, librairies, magasins, fabrications parisiennes, etc., avec des facilités spéciales pour entendre, retenir, noter et transmettre. Nous n’avons aucun besoin de tels individus, qu’ils se couvrent ou non d’un masque neutre. C’est une raison de plus pour localiser autant que possible le rôle des étrangers dans les tâches inférieures et manuelles, où leur présence offre des inconvénients bien moindres, et pour diriger les Français vers les professions plus raffinées, où ils formeront un état-major. Dans ces limites, peut-être le brassage extraordinaire de peuples, qui a été l’une des conséquences de la guerre, rendra-t-il la solution plus facile en amortissant des préjugés dus pour une grande part à l’ignorance.

Par le fait même que la France n’accroît plus sa population nationale, elle est, depuis longtemps déjà, un pays d’immigration. Sans parler des ouvriers saisonniers qui viennent et s’en vont, la France comptait, en 1911, 1 132 000 étrangers (286 pour 10 000 Français). La proportion était restée la même en apparence depuis 1881, non qu’il ne fût venu aucun étranger dans l’intervalle, mais parce que ces arrivées avaient été compensées par les naturalisations qui diminuaient sur les statistiques le nombre apparent des étrangers. La répartition était la suivante : 377 000 Italiens, 310 000 Belges, 88000 Allemands, 81 000 Espagnols, 69 000 Suisses, 36 000 Anglais, 26 000 Russes, 17 000 Américains. Sur ce nombre, on comptait 617 000 étrangers actifs. De plus, il venait environ 50 000 hommes chaque